le Conseil d’État - prioritaire à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit - code général des collectivités territoriales - simplification et d’amélioration de la qualité du droit.
Décision n° 2024-1110 QPC du 31 octobre 2024
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 31 juillet 2024 par le Conseil d’État (décision n° 492642 du 30 juillet 2024), dans les conditions prévues à l’article 61-1 de la Constitution, d’une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour M. Michel B. par Me Katia Guermonprez-Tanner, avocate au Conseil d’État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2024-1110 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l’article L. 2223-4 du code général des collectivités territoriales, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2011-525 du 17 mai 2011 de simplification et d’amélioration de la qualité du droit.
Au vu des textes suivants :
la Constitution ;
l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
le code général des collectivités territoriales ;
la loi n° 2011-525 du 17 mai 2011 de simplification et d’amélioration de la qualité du droit ;
le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
les observations présentées pour la Ville de Paris, partie au litige à l’occasion duquel la question prioritaire de constitutionnalité a été posée, par la SCP Foussard-Froger, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, enregistrées le 19 août 2024 ;
les observations présentées pour le requérant par Me Guermonprez-Tanner, enregistrées le 21 août 2024 ;
les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le même jour ;
les secondes observations présentées pour le requérant par Me Guermonprez-Tanner, enregistrées le 4 septembre 2024 ;
les autres pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Guermonprez-Tanner, pour le requérant, Me Régis Froger, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, pour la partie au litige à l’occasion duquel la question prioritaire de constitutionnalité a été posée, et M. Benoît Camguilhem, désigné par le Premier ministre, à l’audience publique du 15 octobre 2024 ;
Au vu des pièces suivantes :
la note en délibéré présentée pour la partie au litige à l’occasion duquel la question prioritaire de constitutionnalité a été posée par la SCP Foussard-Froger, enregistrée le 23 octobre 2024 ;
la note en délibéré présentée pour le requérant par Me Guermonprez-Tanner, enregistrée le 24 octobre 2024 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S’EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. L’article L. 2223-4 du code général des collectivités territoriales, dans sa rédaction résultant de la loi du 17 mai 2011 mentionnée ci-dessus, prévoit : « Un arrêté du maire affecte à perpétuité, dans le cimetière, un ossuaire aménagé où les restes exhumés sont aussitôt réinhumés.
« Le maire peut également faire procéder à la crémation des restes exhumés en l’absence d’opposition connue ou attestée du défunt.
« Les restes des personnes qui avaient manifesté leur opposition à la crémation sont distingués au sein de l’ossuaire ».
2. Le requérant reproche à ces dispositions de ne pas prévoir d’obligation d’informer les proches du défunt inhumé en terrain commun en cas de reprise de la sépulture et dans le cas où le maire entend faire procéder à la crémation des restes exhumés, ce qui les empêcherait de faire connaître l’opposition du défunt à la crémation. Le législateur aurait ainsi privé de garanties légales le droit au respect de la vie privée et la liberté de conscience des personnes décédées, ainsi que le principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine. Pour les mêmes motifs, le requérant soutient que ces dispositions porteraient en outre atteinte à la vie privée des proches du défunt.
3. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les mots « en l’absence d’opposition connue ou attestée du défunt » figurant au deuxième alinéa de l’article L. 2223-4 du code général des collectivités territoriales.
- Sur le fond :
4. Le Préambule de la Constitution de 1946 a réaffirmé et proclamé des droits, libertés et principes constitutionnels en soulignant d’emblée que : « Au lendemain de la victoire remportée par les peuples libres sur les régimes qui ont tenté d’asservir et de dégrader la personne humaine, le peuple français proclame à nouveau que tout être humain, sans distinction de race, de religion ni de croyance, possède des droits inaliénables et sacrés ». Il en ressort que la sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute forme d’asservissement et de dégradation est un principe à valeur constitutionnelle. Le respect dû à la dignité de la personne humaine ne cesse pas avec la mort.
5. En application des articles L. 2223-1 et L. 2223-3 du code général des collectivités territoriales, chaque commune dispose d’un cimetière comprenant un terrain consacré à l’inhumation des morts auxquels la sépulture est due.
6. Il résulte de l’article L. 2223-4 du même code que, en cas de reprise d’une sépulture par la commune, il est procédé à la réinhumation des restes exhumés dans un ossuaire aménagé ou à leur crémation. Les dispositions contestées de cet article prévoient que la crémation peut être décidée par le maire en l’absence d’opposition connue ou attestée du défunt.
7. En adoptant ces dispositions, le législateur a entendu, afin d’assurer le respect dû à la dignité de la personne humaine, veiller à ce que soit prise en compte la volonté exprimée de son vivant par le défunt pour régler le mode de sa sépulture.
8. Toutefois, ni les dispositions contestées ni aucune autre disposition législative ne prévoient, dans le cas où le défunt est inhumé en terrain commun, d’obligation pour le maire d’informer les tiers susceptibles de faire connaître son opposition à la crémation.
9. En l’absence d’une telle obligation d’information, les dispositions contestées ne permettent pas de garantir que la volonté attestée ou connue du défunt est effectivement prise en compte avant qu’il soit procédé à la crémation de ses restes. Elles méconnaissent ainsi le principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine.
10. Par conséquent, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres griefs, ces dispositions doivent être déclarées contraires à la Constitution.
- Sur les effets de la déclaration d’inconstitutionnalité :
11. Selon le deuxième alinéa de l’article 62 de la Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l’article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d’une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d’être remis en cause ». En principe, la déclaration d’inconstitutionnalité doit bénéficier à l’auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel. Cependant, les dispositions de l’article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l’abrogation et de reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l’intervention de cette déclaration. Ces mêmes dispositions réservent également au Conseil constitutionnel le pouvoir de s’opposer à l’engagement de la responsabilité de l’État du fait des dispositions déclarées inconstitutionnelles ou d’en déterminer les conditions ou limites particulières.
12. En l’espèce, l’abrogation immédiate des dispositions déclarées inconstitutionnelles de l’article L. 2223-4 du code général des collectivités territoriales aurait pour effet de permettre la crémation des restes exhumés lors de la reprise d’une sépulture malgré l’opposition connue ou attestée du défunt. Elle entraînerait ainsi des conséquences manifestement excessives. Par suite, il y a lieu de reporter au 31 décembre 2025 la date de l’abrogation de ces dispositions. En revanche, afin de faire cesser l’inconstitutionnalité constatée à compter de la publication de la présente décision, il y a lieu de juger que, jusqu’à l’entrée en vigueur d’une nouvelle loi ou jusqu’à la date de l’abrogation des dispositions déclarées inconstitutionnelles, le maire doit informer par tout moyen utile les tiers susceptibles de faire connaître la volonté du défunt du fait qu’il envisage de faire procéder à la crémation des restes exhumés à la suite de la reprise d’une sépulture en terrain commun.
13. Par ailleurs, les mesures prises avant la publication de la présente décision ne peuvent être contestées sur le fondement de cette inconstitutionnalité.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - Les mots « en l’absence d’opposition connue ou attestée du défunt » figurant au deuxième alinéa de l’article L. 2223-4 du code général des collectivités territoriales, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2011-525 du 17 mai 2011 de simplification et d’amélioration de la qualité du droit, sont contraires à la Constitution.
Article 2. - La déclaration d’inconstitutionnalité de l’article 1er prend effet dans les conditions fixées aux paragraphes 12 et 13 de cette décision.
Article 3. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l’article 23-11 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 30 octobre 2024, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Jacqueline GOURAULT, M. Alain JUPPÉ, Mmes Corinne LUQUIENS, Véronique MALBEC, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET et Michel PINAULT.
Rendu public le 31 octobre 2024.
ECLI : FR : CC : 2024 : 2024.1110.QPC
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