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Autojustice : Enquête sur ces français qui se font justice eux-mêmes

     

Le journaliste Pierre Rancé publie un livre d’enquête consacré à ces Français, de plus en plus nombreux, qui décident de se faire « justice » eux-mêmes. Une succession de témoignages qui met en lumière les défaillances de notre institution judiciaire et le sentiment d’injustice qu’elles engendrent…

Raphaël Costa
Doctorant en droit de l’espace - Enseignant à l’Université Paris-Saclay - Fondateur du site Curiosités Juridiques.



Police et justice manquent de moyens. Alors, il arrive que les justiciables décident, en dernier recours, de se débrouiller tout seul. Pierre Rancé est parti à la rencontre, dans toute la France, de ces citoyens désespérés de n’être pas entendus et qui, parfois, dérapent. Il en a rapporté des récits poignants comme celui de cette famille de fonctionnaires sans histoire victime par deux fois, la nuit, de l’incendie volontaire de leurs voitures. La deuxième fois, la façade de leur pavillon prend feu. La police n’y voit que des dégradations de biens, refuse d’enquêter, les plaintes sont classéesMais les caméras de surveillance ont parlé : l’auteur n’est autre que l’ex-petit ami d’une des filles de la maison qui a déjà agressé celle-ci. Ses frères organisent une expédition punitive. Cette fois, la justice réagit… pour les mettre en détention provisoire. Le suspect des incendies volontaires quant à lui n’a toujours pas été inquiété.

Une justice absente ou insuffisante

Mais même quand la justice passe, elle est parfois jugée insuffisante.

Sylvain F., coach musical à succès, décide un jour de se rendre chez son ostéopathe pour soulager les douleurs engendrées par un implant dentaire dans sa mâchoire. Le praticien fait une mauvaise manipulation qui endommage définitivement le rachis de son patient. Handicapé à 80 %, il passe désormais l’essentiel de ses journées dans un lit médicalisé et doit recourir à un auxiliaire de vie pour l’aider au quotidien. Après six années de procédure, la justice civile retient la faute à 100 % de l’ostéopathe, dont on découvre au passage que tous les diplômes sont faux, mais chiffre le montant du dommage à seulement 20 000 €…

Alors Sylvain F. décide d’embaucher une équipe de gros bras Géorgiens pour le venger en écrasant le faux ostéopathe avec leur voiture. Il sera condamné à 10 ans de réclusion criminelle.

Des chiffres alarmants

Pierre Rancé est chroniqueur judiciaire, mais il a été aussi porte-parole du ministère de la Justice sous Christiane Taubira, il connaît donc de l’intérieur la réalité de l’état de la chaine pénale en France et cite des chiffres qui donnent le vertige.

Par exemple, le nombre de dossiers traités simultanément par chaque enquêteur en France. La moyenne nationale s’établit à 119. Un chiffre qui ne rend pas compte des tensions sur le terrain :

  • en région parisienne : 300
  • à Nice : 330
  • en Seine-Saint-Denis : 550

Autre chiffre choc : on dénombre au commissariat de Suresnes (92) 8 000 plaintes en attente de traitement pour 10 enquêteurs… Soit 800 dossiers par policier.

Une nouvelle source d’injustices

D’après les sondages et enquêtes de terrain, une majorité de Français serait favorable au recours à la justice privée, qu’elle intervienne à titre individuel dans le cadre d’une vengeance, ou professionnelle avec l’essor par exemple des sociétés chargées de déloger rapidement les squatteurs et locataires mauvais payeurs. C’est ainsi que les chasses aux pédophiles ou occupants sans titres, reçoivent souvent l’approbation de l’opinion publique.

Face à ce phénomène, la position des pouvoirs publics est parfois ambiguë. Sur le sujet de la pédophilie par exemple, le citoyen trouvera dans la communication gouvernementale tout et son contraire :

Ainsi, lors d’un voyage à La Réunion, en octobre 2019, Emmanuel Macron affirme : « avoir besoin […] des gens qui s’engagent pour continuer à dénoncer et aider nos enfants». La députée MoDem Maud Petit dira à l’Assemblée nationale qu’un collectif citoyen « peut être une aide et un relais, une force supplémentaire dans la lutte contre la pédocriminalité sur internet ». Mais au même moment, Éric Dupond-Moretti,  ministre de la Justice, affirme que : « suggérer l’idée d’étendre à tous les citoyens la possibilité d’intervenir dans des enquêtes, cela me chagrine beaucoup, car je pense que les risques de dérive sont très importants. Que les citoyens dénoncent de tels faits quand ils en ont connaissance, c’est bien le moins. Ensuite, il faut que chacun reste à sa place : je ne demande pas aux policiers ou aux magistrats d’être boulangers, je leur demande d’être policiers ou magistrats » …Les membres des collectifs citoyens de lutte contre la pédocriminalité sur internet, qui sont pourtant appelés par les mêmes policiers à leur délivrer des formations afin de profiter de leur expertise en la matière, apprécieront…

Pédophilie, vols, homicides, squats, violences sexuelles, tous les champs des atteintes contre les personnes ou les biens sont concernés par ce phénomène de « justice » parallèle aux soutiens toujours plus nombreux dans la société.

Mais le livre pointe également des « dérives » dans la dérive. Pierre Rancé est allé à la rencontre de ces Youtubeurs qui surfent sur la vague du sentiment d’injustice pour réaliser des vidéos de vengeance humiliante contre des individus pris en flagrant délit de vol dans le cadre de scénarios conçus pour piéger facilement leurs auteurs et les livrer à la vindicte des réseaux sociaux. Pour le plus grand profit des animateurs de ces comptes qui ne recherchent que le buzz.

 

Pierre Rancé, Autojustice : enquête sur un inquiétant phénomène qui gagne la France, Plon, 286 pages, 20 €.

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الاحد 23 مارس 2025
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