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Espace public et dimension genre

     

Najoua Ellouaziri



Chercheuse – Militante associative



Espace public et dimension genre
Sortir dans l’espace public au Maroc, comme dans plusieurs pays arabes, pour une femme est loin d’être un acte anodin, c’est un véritable défi au quotidien. Les inégalités d’accès aux ressources et aux espaces, aux droits de manière générale, ont largement résisté aux réformes institutionnelles visant à établir l’égalité de genre depuis vingt ans environ.

De facto, les femmes doivent s’adapter aux lourdes contraintes liées aux normes sociales aux jugements, pour pouvoir fréquenter les espaces publics, et elles déclarent y subir un très fort harcèlement de rue (63%). Selon le HCP 1,8 million de femmes ont subi un harcèlement de rue et d’intimidation. Ce chiffre est frappant et ne fait que dissuader les femmes de sortir, tout en leur indiquant implicitement que leur place n’est nullement dans l’espace public.


La ville comme illustration de cet espace public, a été pensée depuis longtemps en termes de fonctionnalité et d’esthétisme, mais cette conception a été faite quasi exclusivement par les hommes qui n’ont pas trop considéré la question de la mixité sociale et les spécificités de genre dans les espaces publics. La question de la femme et l’égalité de sexe de manière générale a été souvent abordée selon une approche réductrice, qui met en exergue uniquement le rôle reproductif de la femme.

Cette approche a été revisitée aujourd’hui sous l’impulsion des forces vives et la dynamique de la société civile, et tend vers une nouvelle ère qui considère que l’égalité de sexes passe par l’importance de repenser les rôles sociaux Femme-Homme, tels qu’ils sont aujourd’hui pour une finalité bien ultime qui est l’équité et la justice. Une justice en termes d’accès aux ressources, justice en termes d’accès aux services, et en termes d’accès aux espaces.

Ceci a été mis en évidence à travers une grande dynamique de revendications dont la société civile constitue le principal acteur. Ce dernier a joué et joue toujours un rôle déterminant dans l’aboutissement de plusieurs réformes juridiques (Code de la famille, code de la nationalité,  amendements du code pénal, code du travail, etc.), et la ratification par le Maroc de la CEDAW, puis dans la levée de certaines réserves intervenues ainsi que l’adhésion du Maroc au protocole facultatif à la convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, entrée en vigueur pour notre pays le 22 juillet 2022.

La société civile marocaine apparaît alors comme le propulseur d’une mutation et d’une maturation constante avec une implication sur plusieurs thématiques sociétales qui semblent refléter les principaux changements juridiques, sociaux et politiques intervenus depuis l’indépendance.


A présent des défit persistent toujours, des thématiques épineuses s’imposent aux débats public (la place de la femme dans l’espace public, la propriété foncière et « les terres soulaliates », les normes sociales culturelles, accentué par l’ère de la numérisation …), sans autant oublier toutes les revendications pour la mise en place effective des institutions constitutionnelles tel que l’APALD, qui peinent toujours à voir le jour malgré les avancées très importantes réalisées.

En effet malgré toutes ces avancées législatives concrétisées, de nombreux obstacles limitent toujours la concrétisation des revendications des associations de défense des droits de femmes, tel que le partage des ressources, l’accès équitable aux espaces publics ( ex le métier des adouls que les femmes ont été autorisées récemment à exercer ), Pourquoi alors cette limitation ? Et Comment œuvrer à faciliter l’accès aux à l’espace public par tous et toutes de manière égale dans un esprit de partage et de sérénité et surtout du vivre ensemble.

Dans le même ordre d’idée, en France depuis 1793 il a été souligné dans l’article premier de la constitution de l’an 1 une phrase pleine de sens qui est : « Le but de société est le bonheur commun ».

Afin d’appréhender la question de l’espace public pour les femmes comme pour les hommes il importe tout d’abord de procéder à une délimitation de concepts

Espace public

La notion d’espace public est un terme très vaste à traiter, où de nombreuses définitions lui ont été et lui sont encore attribuées depuis très longtemps. Le concept a été utilisé pour la première fois par le philosophe Allemand Jürgen Habermas, Et par Hannah Arendt dans « l’analyse de l’homme moderne » qui repose principalement sur la distinction conceptuelle entre le domaine privé et le domaine public. Et qui critique la modernité qui fera disparaitre l’espace public où est exprimé principalement la liberté dans son sens large.

Le concept de liberté ici est très important, a beaucoup de sens, et a été délimité dès la constitution de l’an 1 depuis 1793 comme : Le pouvoir qui appartient à l’homme de faire tout ce qui ne nuit pas aux droits d’autrui : elle a pour principe la nature, pour règle la justice, pour sauvegarde la loi, sa limite morale est dans cette maxime : Ne fais pas à un autre ce que tu ne veux pas qu’il te soit fait.

Egalité de genre

Au Maroc, l’égalité de genre a en effet été consacrée par la Constitution de 2011 dans son préambule, et à travers les articles consacrés aux droits des femmes et prohibant toute forme de discrimination, y compris les discriminations fondées sur le sexe, et disposant de l’égalité des sexes dans tous les domaines.

Toutefois, en réalité, au quotidien, les femmes font face à de nombreuses problématiques lorsqu’elles se retrouvent dans l’espace public : (harcèlements de tous type, aménagement territorial non adapté., normes sociales consacrant les inégalités, jugements de valeur …).

L’usage de l’espace public des femmes est très différent et beaucoup plus difficile que pour les hommes, puisqu’elles sont encore majoritairement en charge unilatéralement ou dans la majorité des cas de l’accompagnement des enfants, de prise en charge des personnes âgées, des personnes en situation d’handicap et les soins des parents. Les déplacements des femmes dans l’espace public dans ce contexte sont généralement marqués par des stratégies d’adaptation, d’éviction, et de discrétion, pour faire face à un sentiment d’insécurité en permanence, et ainsi répondre aux standards et normes sociales tracés par la société.

Evolution du contexte national

Les rapports de genre au Maroc s’inscrivent dans le contexte d’un processus en constante mutation. Ces changements passent par des phases de stagnation de silences, et de dialectiques entre les adeptes de différends courants de pensées et idéologies. Plusieurs facteurs contribuent à ces mutations :

• La tendance du règne de la justice de rue dans la société
• Les incidents sociétaux survenus qui suscitent le débat public
• La montée progressive d’une culture des droits humains
• Le Développement des NTIC et des plateformes virtuelles


Malgré ce contexte favorable et les efforts déployés pour concrétiser la justice et l’équité souhaitée en termes d’accès aux ressources et surtout aux espaces public, sujet de débat d’aujourd’hui, le chemin reste encore loin à parcourir pour atteindre l’idéal d’une société intégrée et intégrante.

Cadre normatif international et national

Il importe de rappeler que l’idée de base pour la gestion de l’espace public est celle d’un contrat social entre les citoyens et citoyennes reposant en principe sur un pacte garantissant l’égalité en premier lieu et la liberté en second lieu entre tous les citoyens et citoyennes.

Dans ce pacte social, chacun renonce à sa liberté naturelle pour gagner une liberté dite civile.

• La Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de (1948) proclame que tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits Art1, et que chacun peut se prévaloir de tous les droits et de toutes les libertés qui y sont énoncés, sans distinction aucune, notamment de sexe Art 2.

• Cette Déclaration et ses deux Pactes associés (1966), qui constituent la Charte Universelle des Droits de l’Homme, affirment aussi que les États ont l’obligation d’assurer l’égalité des droits de l’homme et de la femme dans l’exercice de tous les droits économiques, sociaux, culturels, civils et politiques.

• Au niveau national : le Maroc a ratifié les principaux instruments internationaux relatifs aux droits humains, dont le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, et l’adhésion aux protocole facultatif.

• Aussi au niveau de la normative national l’article 19 de la Constitution marocaine de 2011, consacre le principe de l’égalité entre les hommes et les femmes dans l’exercice de tous les droits de l’homme. Il dispose que l’État œuvre à la réalisation de la parité entre les hommes et les femmes, et met en place une autorité pour la parité et la lutte contre toutes les formes de discrimination afin de favoriser des progrès dans ces domaines.

• Il convient de rappeler que la Constitution stipule également que le respect des droits fondamentaux de la personne humaine, y compris l’égalité, tels qu’ils sont définis par les normes de l’ONU, s’imposent non seulement à l’Etat, mais aussi à l’ensemble des organes de la société, qu’il s’agisse de personnes physiques, d’entreprises publiques ou privées, de collectivités territoriales, de partis politiques, d’associations professionnelles ou syndicales ou de toute autre organisation.

• La Constitution marocaine appelle à l’organisation des services publics sur la base de l’égal accès des citoyennes et citoyens, aux dits services de la couverture équitable du territoire national et de la continuité des prestations selon l’article 154 de la constitution.

De facto, une approche inclusive est à considérer, est celle de la responsabilité de l’état permettant ainsi de faciliter l’accès aux espaces public dans des conditions surs. Laquelle approche consiste à créer des conditions de coexistence permettant à chacun, quel qu’il/elle soit, d’apporter le meilleur de soi au projet sociétal commun.


En matière d’aménagement d’espaces publics, une approche inclusive s’impose également en considérant les attentes de tous les publics qui les occupent, dont les femmes (qu’elles soient jeunes, âgées, en situation d’handicap, analphabètes, etc.). La cité a été pensée depuis toujours en termes de fonctionnalité et d’esthétisme, et cela a été fait quasi exclusivement par les hommes qui n’ont pas pris en compte la question de la mixité sociale dans les espaces publics. Chose qui limite l’accessibilité des femmes à ces espaces et consacre l’inacceptation de la présence des femmes dans ces espaces.

Selon l’Enquête Nationale sur la Prévalence de la Violence Faite aux Femmes du HCP (mai 2019), 12,6 % des femmes sont concernées par les violences dans l’espace public au niveau national. Le harcèlement dans les espaces publics est une des formes de ces violences les plus marquants : Agression physique, harcèlement verbal, insultes, n’en sont que quelques exemples les plus repérables dans le quotidien de chaque femme. Ces agissements ne font que contribuer à restreindre l’accès à l’espace public de plus en plus aux femmes.

De ce qui précède, plusieurs obstacles existent à l’accès des femmes et des filles aux espaces publics, et qui sont comme suit : La sureté, la mobilité, l’intimidation, le harcèlement, violence physique et psychique, meurtre…

D’après le guide référentiel élaboré par ONU femme, en partenariat avec le ministère de l’aménagement du territoire de l’habitat et de la politique de la ville 96% des femmes pensent que les espaces publics ne sont pas sûres pour elle, et les cas de violence de viol, de meurtre en perpétuelle augmentation en témoignent. On ne peut parler de la sureté de l’espace public pour les femmes sans évoquer plusieurs incidents, de viol, de meurtre d’agressions et autres documentés par des vidéos postées sur les réseaux sociaux parfois par les agresseurs eux-mêmes et ce sans aucune crainte ou regret quelconque.

Aspect architectural de l’espace public :

Aussi il importe de souligner l’aspect architectural et logistique qui sont des éléments à ne pas négliger. D’après 82% des femmes, elles ont des difficultés à se déplacer dans la rue du fait de l’accessibilité réduite des trottoirs notamment pour les femmes accompagnées de bébé et d’enfants en bas Age.
D’une manière générale, ces chiffres qui ressortent de l’enquête réalisée par ONU-Femme sont très marquants

• 51 % se font harceler verbalement au moins une fois par semaine,
• 31 % se font suivre une fois par semaine,
• 24 % se font harceler physiquement au moins une fois par an
• 82 % soulignent le manque de représentation de figures historiques féminines dans l’espace public
• 90 % soulignent le manque de panneaux indicateurs

Espace public et infrastructure sensible au genre

Bien que les espaces offrent de nombreuses opportunités sociales, économiques et politiques à leurs habitantes, il ne sont toujours pas à la hauteurs ni des attentes ni aux besoins de plusieurs tranches de la population particulièrement les femmes.

Les femmes, sont confrontées à des risques particuliers, y compris une vulnérabilité accrue et une plus grande exposition au harcèlement et à la violence psychique, physique. Les statistiques en témoignent sur cette réalité.

Cette vulnérabilité porte atteinte aux droits et aux libertés des femmes et des filles dans l’exercice de leur citoyenneté et affecte leur capacité d’accéder aux espaces publics et services publics de base : aller à l’école, aller au travail et de participer à la vie publique.

Leur accès aux services essentiels et à la jouissance des opportunités culturelles et créatives en sera également limité. Cela aura un impact négatif sur leur santé et leur bien-être, et entravera leur mobilité et leur accès aux emplois, et menacera ainsi la viabilité économique et sociale.
Ainsi il serait légitime de se demander quels sont les éléments factuels permettant un meilleur accès à l’espace public pour les femmes ?

Bien que nous soyons conscients que les infrastructures ne constituent pas une solution suffisante en soi pour la vulgarisation d’une culture intégré et intégrante, il est à considérer l’effet immédiat que la conception architecturale et urbanistique des espaces publics exerce sur les perceptions et les expériences des hommes et des femmes.

Ainsi, repenser l’espace public architecturalement renforcera la sécurité et favorisera le sentiment d’appropriation de l’espace et contribuera à éliminer les obstacles qui peuvent limiter l’accès des femmes et des filles aux possibilités offertes et leur pleine participation à la société.

Assurer un espace public sécurisé, intégré, responsabilité de l’Etat

Il est à noter que près de 50 villes dans le monde, dont Rabat et Marrakech, sont partenaires dans une initiative mondiale appelée « Safe cities », Elles se sont engagées à mener des actions concrètes via la construction de partenariats multisectoriel inclusif des organisations de la société civile pour faire progresser la conception et la planification urbaines sensibles au genre, y compris l’intégration de la sécurité des femmes et la prévention du harcèlement sexuel dans la politique de la ville, cette dernière constitue un instrument de lutte contre toutes les formes de vulnérabilité et d’exclusion sociale.

Au Maroc, d’après des statistiques :

• Les femmes n’ont pas l’impression que leur ville leur fournit des espaces sûrs pour répondre à plusieurs types de besoins tel que (allaiter, changer leurs enfants, …)
• Les femmes ont exprimé la difficulté d’accès aux toilettes publiques, s’ils existent il est soit sans électricité, et non sécurisé ce qui exposent les usagères à des risques de violence de viol et d’harcèlement.
• Ont un accès restreint à des équipements sportifs
• Se font harceler verbalement et suivre au moins une fois par semaine,
• Se font harceler physiquement au moins une fois par an
• Les femmes soulignent également le manque de représentation de figures historiques féminines dans l’espace public


Les femmes utilisent les espaces publics pour des raisons statistiquement plus diversifiées que les hommes puisqu’elles sont encore majoritairement en charge de l’espace domestique, du soin, de l’accompagnement des enfants et des personnes âgées

Pour faire face à un sentiment d’insécurité, les femmes doivent soit être en groupe, ou être accompagnées des hommes pour faire face à cette insécurité et à ces risques. Il est constamment rappelé à la femme que l’espace public est dangereux et non construit pour elles.

Comment se fait-il qu’aujourd’hui encore, les hommes et les femmes s’approprient et investissent les espaces publics d’une manière assez différente et d’une manière inégalitaire. Et ce pour répondre aux standards des normes sociales instaurées dans la société. Comment alors aboutir à une réelle mixité des espaces publics pour garantir l’accessibilité pour tout(es) et assurer le vivre ensemble. Les femmes grandissent avec l’idée qu’elles sont naturellement vulnérables et se comportent sur cette base. Combien de femmes n’ont pas été victimes de harcèlement dans les transports publics, allant des regards intrusifs, des remarques d’intimidation allant jusqu’au viols et agressions.

C’est aux femmes qu’on reproche toujours de se vêtir de telle ou de telle manière, d’entreprendre certains passages non sûrs, au lieu de corriger cette situation.
Les loisirs sont également un bel exemple de l’exclusion des femmes des espaces publics. La majorité des installations et équipements construits sont à symbolique masculine et ainsi à forte fréquentation de garçons et d’hommes. Cela fait que les espaces publics ne sont pas égalitaires et accessible de la même manière pour tou.te.s.

Penser des espaces inclusifs et conviviaux ne veut pas dire séparer les hommes et les femmes ou modifier simplement l’éclairage. Il est nécessaire de créer des ambiances pouvant réduire le sentiment d’insécurité des utilisateurs. La prise en compte de nombreux éléments est essentielle pour permettre une ouverture, une mixité et une égale utilisation des espaces publics par tou.te.s.



الثلاثاء 6 غشت 2024
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