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L’État social et l’indice de résolution de l’épineuse question sociale

     

Jilali Chabih, Docteur et HDR, Paris 2 et Paris 5, et Docteur d’État, UCAM- Maroc, en droit, finance, fiscalité, administration et méthodes de recherche



L’État social et l’indice de résolution de l’épineuse question sociale
Prise globalement, c’est-à-dire en tant que phrase, l’expression : «l’État social», nous interpelle tout d’abord du point de vue linguistique, par le fait justement de nous communiquer une idée institutionnelle, un paradigme social, un mode d’organisation et de fonctionnement d’une société, de nous transmettre une certaine culture de vivre ensemble, de vivre en société, et de pouvoir, par conséquent, instaurer une certaine identité sociale. C’est ce que, du moins, laisse entendre l’analyse linguistique de cette assertion. Néanmoins, la réalité est tout autre. Cf. J. Chabih, Réflexion sur la réalité économico-financière du Maroc, 28 avr. 2023 et La notion de droit, les deux articles sont accessibles sur le Web.

«L’État social» nous ramène aussi, historiquement parlant, à son antonyme «l’État gendarme», qui est une forme de l’État, très ancienne, qui remonte à des milliers d’années, une autorité souveraine, dont les principales fonctions se limitent à des prérogatives régaliennes, comme la défense, la sécurité, la justice, l’impôt, la monnaie, où l’usage de la violence «légitimée» est présenté comme sa seule et principale fonction. Les autres domaines à caractères social, économique ou culturel sont plutôt secondaires, accidentels, sinon carrément inexistants. Cf. en l’occurrence les écrits de certains grands penseurs sur la question comme Ibn Khaldoun, Al Maqrizi, Adam Smith, Karl Max, Max Weber, Pierre Bourdieu, M. Elmanjra, M. Al-Jabri.       

Mais «L’État social» nous rappelle aussi son synonyme, en quelque sorte, qui est «l’État providence», quoique celui-ci englobe, en effet, un domaine d’action et d’intervention beaucoup plus large que le seul aspect strictement social tel qu’il est conçu par de nombreux État, dont le Maroc. L’État providence, en revanche, s’étend à l’ensemble des interventions socioéconomiques et culturelles de l’État, qui peuvent être systématisées en trois grandes fonctions, d’ordre normatif, social et économique : régulation, allocation, redistribution. Cf. Richard Musgrave, The Theory of Public Finance: A Study of Public Economy, McGraw-Hill, 1959, 628 pages. 

La régulation consiste à assurer, par l’ordre et la loi, un bon fonctionnement de la société. L’allocation des ressources est la gestion optimale des facteurs de production (travail, capital, matières premières) en vue de la satisfaction des besoins collectifs, avec des investissements productifs, ou la production des biens et des services publics (marchands et non marchands). Mais aussi des services publics décents, et qui seraient dignes de ce nom, comme la sécurité sociale, la santé, l’enseignement, le transport, la communication, l’électricité, l’eau, l’assainissement, les espaces verts, la propreté et la qualité de l’espace, de l’occupation du territoire, de l’urbanisation et de l’architecture. Cf. Al-Mâwardi, Les statuts gouvernementaux, 1045-1058, où il expose les fondements d’une réflexion pertinente de la gestion de la chose publique contemporaine ; Léon Duguit, Traité de droit constitutionnel, 1927, Le problème de l’État, pp. 534-648, René Chapus, Droit administratif général, Les services publics, pp. 547-661.     

La redistribution des richesses consiste à corriger horizontalement et verticalement les inégalités et les injustices d’une répartition primaire des revenus devenue intolérable, par la protection sociale, la solidarité et l’aide sociale (impôts, cotisations sociales, revenus de transfert). Cf. Le modèle Bismarckien, Allemagne, financé par les cotisations, 1883 ; le modèle beveridgien, Angleterre, financé par l’impôt, 1942 ; le modèle mixte, E.U.A. depuis les années 1945, associant assurance privée, impôt et cotisations salariales. S’agissant du Maroc, je propose - et ce n’est nullement une condescendance de ma part mais simplement j’essaie de mettre en exergue une source de financement délaissée- le modèle qualité de gestion, ou gestion optimale de la chose publique. La rationalisation de la gestion de l’État peut dégager un surplus économique se chiffrant en douzaine de milliards de dirhams, qui, certainement, contribuerait à la production et au développement d’un «État social optimal». Cf. J. Chabih, Les sources de financement public, disponible sur le Web, déc. 2020 et Réflexion sur la réalité économico-financière du Maroc, article précité.               

Les pays qui se rapprochent le plus de cette forme de l’État providence et dont l’Indice de Développement Humain (IDH) se situe à un niveau très élevé (entre 0,967 et 0,935), sont plutôt la Suisse, la Norvège, l’Islande, le Danemark, la Suède, la Finlande, les Pays-Bas, l’Allemagne, le Canada…Le Maroc, quant à lui, est classé, selon cet IDH, qui est de 0,698, au 121ème rang, sur 195 États et territoires étudiés. Cf. Atlas Sociologique Mondial, dernière mise à jour le 23 mai 2024, disponible sur le Web.     

Le «Welfare State», selon la conception anglo-saxonne, créé en 1942, par opposition à «Warfare state» de l’Allemagne Nazie, qui est «l’état de guerre», est un État providentiel, un État du bien-être social, capable d’offrir des biens et des services de base à ses citoyens ; et particulièrement les défavorisés parmi eux (vieux démunis et autres revenus modestes, chômeurs, accidentés, malades, invalides), et ce, quelle que soit sa nature : État-conservateur, État-libéral, État- corporatiste ou État-social-démocrate.
Le modèle occidental de Welfare State est un État qui développe le bien-être socioéconomique de sa population sur des principes d’égalité, d’équité et de responsabilité, face à des risques sociaux comme la vieillesse, le chômage, les accidents, les maladies ou l’invalidité.
Cf. E.P. Hennock, Welfare State, History of, in International Encyclopedia of the Social & Behavioral Sciences, 200, and The origin of the welfare State in England and Germany, 1850-1914 : Social policies compared, Cambridge University Press, 2007, 381 pages, accessibles sur le Web.

L’«Islamic welfare state», ou l’État de solidarité et de cohésion sociale, dans le monde musulman, est une institution à vocation globale dont la souveraineté s’exerce sur une population et un territoire déterminés. Une telle organisation sociale est fondée, à l’origine, sur la base des préceptes de la Charia, comme la justice, l’équité, la prospérité économique, la tolérance, l’entraide sociale, financière et matérielle. Toutefois, l’exercice du pouvoir, en général et politique en particulier, s’était débarrassé des préceptes, sitôt qu’il s’était enraciné, et assez souvent (dans différentes contrées), et n’avait gardé que le pouvoir, de manière pitoyable et bassement intéressée. CF. Bou Ali Yassine, La trinité proscrite : études sur la religion, le sexe et la lutte des classes, 1976, Beyrouth, 163 p. Muhammad Abu Zahra, La cohésion sociale en Islam, 1964, Le Caire, 95 p. On ne saurait reprocher à une loi sa mise en application qui incombe à d’autres, Abu Zahra, op.cit. p. 89. Ces ouvrages sont écrits en langue arabe.

Selon la conception marxiste, l’État-providence n’est en définitive qu’une forme institutionnelle de contrôle social sur la force de travail - les salariés - au service du capitalisme et indispensable à la pérennité de celui-ci. Raison pour laquelle le système leur confère un rôle, quoique minimaliste, dans la société en leur concédant un salaire minimum leur garantissant une bonne santé afin juste de pouvoir continuer à «trimer » dans l’entreprise. Cf. Karl Marx, Œuvres tome II, Économie II, Éd. Gallimard, 1968, 1970 pages ; Malao Kante, La question du travail salarié dans la pensée de Karl Marx, thèse de doctorat soutenue le 29 sept. 2016 à Université de Strasbourg, sous la direction de Franck Fischbach, in HAL open science, Mai 2017, accessible sur le Web.    
  

«L’État de bien-être», quant à lui, peut être analysé en associant et dissociant à la fois le concept d’État et celui de bien-être. Si l’État est un pouvoir souverain s’exerçant sur un peuple et un territoire, le bien-être est un état d’une personne, d’un individu, d’un groupe, d’un groupement ou d’une communauté, qui se sent bien dans son milieu, et s’épanouit là où il vit, là où il travaille, là où il se promène, là où il vaque à ses occupations, là où il vaque à ses loisirs dans un environnement agréable.

En conséquence, «l’État de bien-être» est un État où tout à chacun pourrait avoir la capacité et/ou la chance de pouvoir jouir d’une santé mentale et d’une «aisance matérielle» qui lui permettent de coexister en sécurité, de vivre décemment, de s’épanouir et de pouvoir réaliser ses objectifs dans un environnement de justice, d’équité, de responsabilité et «d’intégrité écologique». Cf. L’O.M.S. qui définit la santé, dans sa Constitution de 1948, comme un bien-être physique, mental et social, rapport du 8 févr. 2023 ; l’O.I.T. insiste, dans l’art. 1er de la Convention C187, sur l’importance de la santé, de la salubrité et de la sécurité dans le milieu du travail ; la définition du bien-être social in Portail de la fonction publique, en France, du 24 oct. 2022, mis à jour le 8 févr. 2023 ; Marta Torre-Schaub, Bien-être de l’Homme et bien-être de l’environnement : un enjeu de miroirs, pp. 55-74, Édition de la Sorbonne, 2016, Open Edition Books.              

S’agissant enfin de «l’État social», que signifie précisément «social» dans cette structure prise globalement ? Nous dépassons légitimement cette vision réductrice de «l’État social», adoptée au Maroc qui consiste à cantonner le «social», principalement dans «la protection sociale» des strates de la population qui sont aujourd’hui les plus vulnérables : aides sociales, bas salaires, chômage, maladie, absence de retraite, logement indécent, conditions d’éducation d’enseignement, de formation professionnelle et de recherche inappropriées…

Toutefois, de par les déclarations de politiques publiques des gouvernements successifs sur l’état de l’économie, de la société, de la population et de la géographie, nous avons pu constater que la  question demeure toujours posée et de manière très grave, en matière justement de revenu, de santé, de logement, de retraite, d’enseignement, de recherche, de distorsion sociale et spatiale.  Cf. notamment, la lettre de cadrage du Chef du gouvernement relative au projet de la loi de finances de l’année 2025, ainsi que les autres lettres de cadrage des années précédentes, disponibles sur le Web.   

Par ailleurs, du point de vue morphosyntaxique, «l’État social», c’est-à-dire la combinaison de toutes les composantes de cette formation, englobe non seulement «la protection sociale» au sens restreint mais aussi tout ce qui a trait au «social» et à la «structure sociale» avec toutes ses ramifications : solidarité sociale, reconnaissance des droits sociaux, résorption des risques sociaux et de l’exclusion sociale, protection de la famille, de l’emploi et de la vieillesse, construction et installation des grands chantiers d’investissement productifs en matière d’infrastructure capable d’organiser, de structurer et d’irriguer l’ensemble de la société, de la population et de la géographie, avec un intérêt croissant pour l’humain, pour son milieu, pour l’architecture et pour l’environnement.  

En fait, l’activation et la mobilisation de toute l’infrastructure : voies, réseaux et systèmes de communication, production, répartition, redistribution et consommation, ainsi que l’implication de toutes les composantes de la société : ménages, entreprises, administrations, O.NG., institutions religieuses, diplomatie, relations internationales et rapports socio-économiques internationaux sont indispensables pour la fondation, l’institution et le développement d’un «État social» aux multiples dimensions : socioéconomique, écologique, politique et culturelle.

L’État lui-même est «un fait social» disait déjà L. Duguit, dans son Traité de droit constitutionnel, 1927, p. 536, précité. La réglementation, l’ordonnancement juridique, l’ordre public, l’investissement, les services publics, l’intérêt général, sont autant de variables des faits sociaux. Jilali Chabih, Docteur et HDR, Paris 2 et Paris 5, et Docteur d’État, UCAM- Maroc, en droit, finance, fiscalité, administration et méthodes de recherche



الاثنين 20 يناير 2025
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