A sa sortie, en 2009, le livre « Analyse de la décision fiscale au Maroc », de son auteur Noureddine Bensouda, directeur général des impôts, a été présenté comme une innovation académique. Ce qui est vrai d’ailleurs du point de vue de la présentation de la thématique centrale. Jusqu’à cette publication, elle-même fruit d’une thèse de doctorat, la décision fiscale au Maroc n’a jamais été soumise à une étude clinique pour décortiquer ses rouages et ses acteurs. Maintenant, c’est fait. L’œuvre de Noureddine Bensouda a ainsi le mérite de focaliser sur un sujet sensible. L’analyse de ce dernier n’est pas aisée et la position du directeur général des impôts, et ami de classe du roi, rend ce travail d’autant plus délicat que le suppose sa sphère de recherche.
D’emblée, l’auteur chercheur commence par une délimitation de son périmètre. Dans son introduction, Bensouda précise que son travail de recherche vise à tester une hypothèse : « celle de savoir si la décision fiscale, dans sa réalité profonde, est bien le produit du seul détenteur officiel des compétences décisionnelles » : le Parlement. Tout étudiant de droit public trouvera cette énoncé naïf, certes, mais l’essence même de la recherche est de creuser en profondeur pour mettre en exergue la complexité latente d’une situation donnée pour acquise. Sur ce point, Bensouda a su « packager » sa thèse de doctorat en l’habillant d’un énoncé éditorial « sexy », comme on dit dans le jargon journalistique. Quant au développement, l’auteur opère par regroupement d’éléments épars mais globalement connus pour un public averti. L’analyse se focalise ainsi sur une période marquée par la réforme fiscale, la plus grande qu’a connue le Maroc. La littérature concernant la réforme de 1984 est abondante comme en témoigne la référence bibliographique de l’ouvrage de Bensouda. Cela n’empêche que cette mouture académique est d’un intérêt important pour l’analyse de l’évolution historique du système marocain. Et la contribution du directeur général des impôts figurera en bonne place dans la bibliothèque fiscale du Royaume.
Il n’en demeure pas moins que Noureddine Bensouda a délibérément fait l’impasse sur des réalités importantes du système fiscal national. Comme il a tout aussi délibérément gonflé l’importance de certaines hypothèses, portant ainsi le discrédit sur un travail de recherche académique. La thèse de doctorat de Bensouda n’intègre pas le Palais comme un acteur dans la décision fiscale. Elle ne retient que quatre acteurs dont : les groupes parlementaires, l’administration fiscale, les institutions financières internationales et les groupes de pression.
En fait, parmi ces quatre acteurs, l’observateur ne peut retenir que l’administration fiscale, les groupes parlementaires issus de la majorité gouvernementale et les groupes de pression. En effet, l’auteur reconnaît lui-même que la structures du système politique marocain et les instruments juridiques mis à la disposition du gouvernement mettent l’opposition parlementaire (ou minorité) dans une position telle qu’elle ne peut influencer la décision fiscale. Quant aux institutions internationales, Bensouda ne retient que la période préparant la réforme fiscale et pendant laquelle le Maroc avait sollicité l’analyse du FMI pour mieux cadrer son projet de réforme. Pour le reste, et la suite des évènements le prouve, malgré l’insistance des institutions internationales, notamment FMI et Banque Mondiale, le Maroc n’a pas retouché son système fiscal depuis ladite réforme, sauf épisodiquement et pour des raisons indépendantes de la pression desdites institutions. En revanche, la recherche de Bensouda exclut le rôle du Palais et son influence sur le système fiscal, ce qui est étrange vu la place prépondérante de l’institution monarchique dans le système politique marocain. Et même en usant de réserve à ce sujet, l’auteur aurait pu, au moins, mettre en exergue le pouvoir d’arbitrage du roi, lequel a été à l’origine de décisions fiscales importantes dont l’exonération de l’agriculture. La dernière décision en date remonte à 2009 quand le roi Mohammed VI a prolongé l’exonération fiscale dont bénéficie le secteur agricole jusqu’en 2013. Plus récemment encore, il a fallu l’intervention du Palais pour réinstaurer les avantages fiscaux accordés aux promoteurs immobiliers s’activant dans le segment du logement social et ce, malgré l’opposition farouche de l’administration des impôts.
Dernier point critique concernant le livre de Bensouda : un règlement de compte vis-à-vis des médias. Dans le chapitre accordé aux groupes de pression, le lecteur relève d’emblée que Bensouda n’a retenu comme exemple que celui des banques et du secteur de l’enseignement privé. Les premiers avaient remué ciel et terre pour éviter l’imposition des intérêts sur les comptes MRE (Marocains Résidant à l’Etranger) et le second pour reconduire la suppression du paiement des arriérés d’impôts et taxes et instaurer définitivement l’exonération fiscale. L’auteur, croyant démystifier la démarche des lobbies, ne s’empêche pas de porter des jugements de valeur déguisés à travers des arguments tirés de faits avérés. Ainsi, il n’hésite pas à interpréter la participation systématique des banques aux différentes amnisties fiscales décidées par le gouvernement par le seul souhait d’éviter le contrôle fiscal. C’est une évidence certes, mais force est de constater que le contrôle fiscal au Maroc, et cela l’auteur ne le dit nulle part, n’est pas soumis à une démarche rationnelle. Les issues des redressements fiscaux ne sont ni prévisibles ni quantifiables à l’avance, faute de procédure et de repères clairs. Et c’est dans ce chapitre que l’auteur se lâche contre la presse qui a soutenu ses adversaires. Exemple : « Nombreux sont les médias qui ont clairement pris position en défendant les intérêts des milieux qui les financent, sous couvert d’une information objective. D’autres ont suivi, craignant de perdre des recettes publicitaires s’ils ne s’impliquaient pas dans cette campagne », écrit Noureddine Bensouda. Quant au mutisme de l’administration fiscale, il le justifie par le refus de celle-ci « de polémiquer en demeurant conforme aux règles qui gouvernent ses actions, à savoir : l’obligation de réserve et le secret professionnel ». Et à ce niveau de l’analyse, le lecteur ne sait plus s’il est toujours dans le domaine de la recherche académique basée sur des documents de référence, notamment l’analyse approfondie attestant de l’obédience de certains organes de presse aux milieux financiers. D’ailleurs, le fisc dispose de tous les moyens pour le faire. Dommage !