Je me souviens fort bien de cette époque où j’étais jeune et heureux, où l’idée de quitter
un jour ces lieux était loin de moi. Je ne savais pas à ce moment-là, quel idiot étais-je,
qu’il y avait un temps pour tout : un temps pour courir et un temps pour s’arrêter, un
temps pour réfléchir et un temps pour écrire, un temps pour trimer et un temps pour
traîner, un temps pour pouvoir et un temps pour prévoir…
On travaillait dans un secteur d’activité : public ou privé, administration ou entreprise.
On était, un beau jour, embauché ou recruté pour occuper un poste. On était content,
très content même, d’avoir ce poste. On se sentait pousser des ailes, et on bossait à fond,
sérieusement tous les jours, ou alors la nuit, excepté les jours fériés, et même parfois les
jours fériés aussi on peinait. Homme de peine tu es, homme de peine tu resteras !
On travaillait, selon sa qualification et/ou ses compétences, des heures ou quelques
heures dans la journée, ou tout au long de la journée. Alors le matin de certains jours,
pour certains, ou tous les matins, pour d’autres, on embauchait vers cinq, six, sept ou
huit heures selon la nature du job ou du poste. On rejoignait son poste, et on bossait, on
bossait sans répit : la semaine, le mois, l’année, puis l’année d’après, puis l’année
suivante, et ainsi de suite des années durant : vingt, trente, quarante ans, voire plus.
On s’habituait avec le temps, et le temps passait, coulait subrepticement, on acquérait de
l’expérience en vieillissant, mais on payait de son temps et de sa personne, on travaillait
avec des collègues, on s’entendait avec certains, moins avec d’autres, on se faisait des
amis, et des amies aussi, pourquoi pas ! On pouvait se faire beaucoup d’amis (ies), ou
peu, selon notre nature, notre tempérament, notre caractère, réservé ou ouvert, sociable
ou insociable, impliqué dans la stratégie, l’idéologie ou l’administration de la boîte ou un
peu à l’écart…
Notre lieu de travail, où l’on passait vingt, trente, quarante ans, devenait forcément,
avec le temps, durant tout ce temps, notre second foyer, notre seconde maison. On ne
pensait pas au lendemain, on était épris de son travail, de son métier, on croyait le
lendemain très loin, on n’y croyait même pas, à vrai dire. On l’aimait, ce foyer, notre
lieu de travail, on le considérait, on le respectait ! On travaillait, et durement, mais on
prenait aussi du bon temps.
Car on bossait, et durement, mais on s’amusait aussi, parfois on stressait, on était
fatigué, on avait le cafard, des idées noires, et on continuait tout de même à bosser,
malgré soi, car c’était notre gagne-pain, et il fallait que la boîte marche ! Et l’on faisait
tout son possible pour que la boîte marche effectivement ! Et on était satisfait quand la
boîte marchait, on était content quand on faisait bien son boulot. On s’investissait dans
son travail, chaque jour, chaque semaine, chaque mois, chaque année, et puis le temps
passait, sans qu’on se rende compte qu’on vieillissait.
Mais vient un jour, sans que l’on s’en aperçoive malheureusement, où « le temps des
lilas, comme disait Proust, approchait de sa fin ». Alors on est surpris à la fois de
l’ubiquité et de l’écoulement du temps, ce temps, qui n’a effectivement, à la manière de
Lamartine : «point de rive. Il coule et nous passons ». Et pourtant, je ne saurais dire,
comme J.J. Rousseau : «Je me sentais fait pour la retraite et la campagne ». Ce n’est
vraiment pas mon cas.
Quel traître ce lieu ! Quel traître ce foyer ! Quel traître ce système ! Après tant année
passées là. Fort heureusement on est tous sur le même pied d’égalité au moins pour
cela : aujourd’hui moi, demain toi, à qui le tour ? Tu nais, tu vis, tu meurs ! Jilali
Chabih, Docteur et HDR, Paris 2 et Paris 5, et Docteur d’État, UCAM, Maroc, en droit,
finance, fiscalité, administration et méthodes de recherche
un jour ces lieux était loin de moi. Je ne savais pas à ce moment-là, quel idiot étais-je,
qu’il y avait un temps pour tout : un temps pour courir et un temps pour s’arrêter, un
temps pour réfléchir et un temps pour écrire, un temps pour trimer et un temps pour
traîner, un temps pour pouvoir et un temps pour prévoir…
On travaillait dans un secteur d’activité : public ou privé, administration ou entreprise.
On était, un beau jour, embauché ou recruté pour occuper un poste. On était content,
très content même, d’avoir ce poste. On se sentait pousser des ailes, et on bossait à fond,
sérieusement tous les jours, ou alors la nuit, excepté les jours fériés, et même parfois les
jours fériés aussi on peinait. Homme de peine tu es, homme de peine tu resteras !
On travaillait, selon sa qualification et/ou ses compétences, des heures ou quelques
heures dans la journée, ou tout au long de la journée. Alors le matin de certains jours,
pour certains, ou tous les matins, pour d’autres, on embauchait vers cinq, six, sept ou
huit heures selon la nature du job ou du poste. On rejoignait son poste, et on bossait, on
bossait sans répit : la semaine, le mois, l’année, puis l’année d’après, puis l’année
suivante, et ainsi de suite des années durant : vingt, trente, quarante ans, voire plus.
On s’habituait avec le temps, et le temps passait, coulait subrepticement, on acquérait de
l’expérience en vieillissant, mais on payait de son temps et de sa personne, on travaillait
avec des collègues, on s’entendait avec certains, moins avec d’autres, on se faisait des
amis, et des amies aussi, pourquoi pas ! On pouvait se faire beaucoup d’amis (ies), ou
peu, selon notre nature, notre tempérament, notre caractère, réservé ou ouvert, sociable
ou insociable, impliqué dans la stratégie, l’idéologie ou l’administration de la boîte ou un
peu à l’écart…
Notre lieu de travail, où l’on passait vingt, trente, quarante ans, devenait forcément,
avec le temps, durant tout ce temps, notre second foyer, notre seconde maison. On ne
pensait pas au lendemain, on était épris de son travail, de son métier, on croyait le
lendemain très loin, on n’y croyait même pas, à vrai dire. On l’aimait, ce foyer, notre
lieu de travail, on le considérait, on le respectait ! On travaillait, et durement, mais on
prenait aussi du bon temps.
Car on bossait, et durement, mais on s’amusait aussi, parfois on stressait, on était
fatigué, on avait le cafard, des idées noires, et on continuait tout de même à bosser,
malgré soi, car c’était notre gagne-pain, et il fallait que la boîte marche ! Et l’on faisait
tout son possible pour que la boîte marche effectivement ! Et on était satisfait quand la
boîte marchait, on était content quand on faisait bien son boulot. On s’investissait dans
son travail, chaque jour, chaque semaine, chaque mois, chaque année, et puis le temps
passait, sans qu’on se rende compte qu’on vieillissait.
Mais vient un jour, sans que l’on s’en aperçoive malheureusement, où « le temps des
lilas, comme disait Proust, approchait de sa fin ». Alors on est surpris à la fois de
l’ubiquité et de l’écoulement du temps, ce temps, qui n’a effectivement, à la manière de
Lamartine : «point de rive. Il coule et nous passons ». Et pourtant, je ne saurais dire,
comme J.J. Rousseau : «Je me sentais fait pour la retraite et la campagne ». Ce n’est
vraiment pas mon cas.
Quel traître ce lieu ! Quel traître ce foyer ! Quel traître ce système ! Après tant année
passées là. Fort heureusement on est tous sur le même pied d’égalité au moins pour
cela : aujourd’hui moi, demain toi, à qui le tour ? Tu nais, tu vis, tu meurs ! Jilali
Chabih, Docteur et HDR, Paris 2 et Paris 5, et Docteur d’État, UCAM, Maroc, en droit,
finance, fiscalité, administration et méthodes de recherche