L’Etat peine à se conformer à la loi
· Son contentieux a progressé de 17% en 2009
· Des propositions pour légaliser les pratiques
C’EST une institution qui ne mâche pas ses mots! Arguments à l’appui, l’Agence judiciaire du Royaume (AJR), créée en 1928, livre encore une fois, dans son rapport d’activité 2009, un portrait pas très reluisant de l’Etat. Plus exactement de l’application que celui-ci fait de la loi et du contentieux qu’il génère. Respecter la légalité devient donc un indicateur pertinent de bonne gouvernance. Premier constat, le nombre d’actions judiciaires dirigées contre les ministères, les entreprises et les établissements publics, puis contre les collectivités locales est en «constante évolution». Après le répit de 2007 et 2008, l’Agence judiciaire –défenderesse de l’Etat devant la justice- a dû ouvrir 1.887 nouveaux dossiers (voir page 4). Ce qui représente une progression de 17% par rapport à 2008. L’Agence que dirige Mohamed Kemmou depuis juin 2010 y voit trois causes: des lois très floues, une application inappropriée du texte, voire son non-respect tout simplement!
Qui sont les cancres?
De quoi mettre à mal les discours officiels sur l’Etat de droit. Avec aussi en arrière-plan une production législative très approximative et des fonctionnaires et agents d’autorité hors la loi.
Qui sont les cancres? Quatre administrations publiques occupent respectivement les 1res places: les Finances, l’Intérieur y compris les services de police (DGSN), la Défense nationale (armée et gendarmerie) puis l’Education nationale. Un classement presque identique à celui de 2008 et où se distinguent des ministères dits de «souveraineté». Une des propositions qui émergent du rapport est de recourir à une double analyse relative à l’impact de la réglementation sur le terrain et à ses implications économiques. Autrement dit, prendre en compte la croissance, la valeur (en investissement par exemple) et le coût que peuvent générer l’adoption d’une loi, son application ou son ignorance. Les juristes de l’AJR parlent d’ailleurs du «coût du contentieux». Il est soit direct et donc lié au traitement et à l’exécution d’une décision de justice. La facture peut être salée s’il y a une amende ou des dommages-intérêts colossaux à payer. Le coût indirect est lié «au fonctionnement de la justice» -engorgement des tribunaux notamment- et à «la détérioration de l’image de l’administration». D’où aussi une autre proposition formulée par le rapport: «Une analyse systémique et globale du contentieux de l’Etat». Sorte de cartographie jurisprudentielle qui se ferait par type de juridiction (administrative ou judiciaire) ou type d’affaire (expropriation, abus de pouvoir, élections…). L’Agence dispose déjà d’un précieux fonds documentaire. Environ 4.000 jugements lui sont notifiés annuellement. Ce flux de décisions permettrait justement de suivre l’évolution jurisprudentielle et donc le degré d’appropriation de la loi par les juges. Dès décembre 2009, la Cour suprême a ainsi considéré que la publication d’un décret au Bulletin officiel équivaut à une notification…
Si réforme il y a, l’AJR devrait être confortée dans son rôle d’observatoire juridique et qu’elle joue déjà de fait. L’idéal serait aussi qu’elle partage sa banque de données avec d’autres départements. Le Secrétariat général du gouvernement est un partenaire idéal puisqu’il édite, depuis 2010, une série: «Documentation juridique marocaine». Son dernier numéro porte sur la haute cour. Le partage de l’information permettra d’élargir l’accessibilité de la jurisprudence et de l’affiner surtout. De quoi épargner aux 100 juristes de l’Agence bien des contentieux inutiles.
Palmarès des litiges générés par l’administration
· 12.880 dossiers ouverts par l’avocat de l’Etat
· Le droit, une culture qui a encore du mal à percer
Retenez bien ce chiffre: 12.880. C’est le nombre de contentieux ouverts en 2009 et où l’Etat est impliqué. Sa défense devant les juridictions est assurée par l’Agence judiciaire du Royaume. Cette institution sous tutelle du ministère des Finances a constaté la progression de certains litiges
législation sociale (accidents travail par exemple), expropriation, excès de pouvoir… Et ceci au moment où d’autres affaires ont stagné, voir baissé telles que celles relatives au statut général de la Fonction publique. C’est pourquoi le contentieux administratif est à la hausse et celui soumis aux juridictions de droits commun (civil, commercial, pénal…) l’est encore plus pour renouer ainsi avec le pic de 2005 et 2006. Le règlement d’un dossier s’étend en général sur plus d’une année. Tout dépend donc du type de juridiction amenée à statuer, la nature de l’enjeu (financier, foncier…) et de la complexité des procédures engagées. Le contentieux fiscal ne relève pas des prérogatives de l’Agence judiciaire. Celui-ci est en effet pris en charge par la Direction général des impôts, également rattachée au ministère des Finances. A souligner aussi que d’autres types d’affaires où sont concernés «uniquement collectivités locales, entreprises et établissements publics» ne sont pas défendus par l’Agence mais par des avocats: son intervention directe en qualité «d’appel en cause» que si la condamnation de l’Etat risque de le déclarer débiteur. Mais l’institution apporte assistance et conseil si ces derniers en font la demande. C’est dire que celle-ci ne livre dans son rapport que les statistiques des affaires qu’elle traite: plus de 16.800 au total. Il faut distinguer à ce titre entre dossiers ouverts (12.880) et traités. Ses cent conseillers ont ainsi chacun résolu en moyenne 171 affaires en 2009. Ce qui représente 17 dossiers traités mensuellement. Un rendement assez important et où sa mesure prend en compte le courrier produit (38.400). Celui-ci inclut correspondances et autres actes de défenses (mémoires, requêtes, conclusions…). Qu’en est il du résultat obtenu? Plus de 52% des jugements sont favorables à l’Etat. Ce qui indique que l’administration peut être fautive mais aussi victime.
L’Agence judicaire précise qu’elle est amenée ainsi «à traiter un contentieux né dans d’autres administration». Ceci rend sa «tâche difficile» surtout que les ministères qui génèrent 80% des affaires, collectivités locales (communes, régions…), établissements et entreprises publiques «ne sont pas souvent facilement défendable». Cette difficulté dont se plaint l’Agence émane du fait qu’elle «ne maîtrise pas les causes du litige». Ce qui signifie aussi que l’Etat et ses administrations peuvent bien s’éviter des procès en ayant recours à l’arbitrage notamment. A condition d’avoir des services juridiques à la hauteur de leur mission. Ce qui n’est pas vraiment le cas. Sinon, pourquoi la primature a-t-elle envoyé courant 2010 une correspondance aux ministères pour les inviter à renforcer leurs équipes de juristes? Un appel qui n’a pas trouvé beaucoup d’échos.
leconomiste
· Son contentieux a progressé de 17% en 2009
· Des propositions pour légaliser les pratiques
C’EST une institution qui ne mâche pas ses mots! Arguments à l’appui, l’Agence judiciaire du Royaume (AJR), créée en 1928, livre encore une fois, dans son rapport d’activité 2009, un portrait pas très reluisant de l’Etat. Plus exactement de l’application que celui-ci fait de la loi et du contentieux qu’il génère. Respecter la légalité devient donc un indicateur pertinent de bonne gouvernance. Premier constat, le nombre d’actions judiciaires dirigées contre les ministères, les entreprises et les établissements publics, puis contre les collectivités locales est en «constante évolution». Après le répit de 2007 et 2008, l’Agence judiciaire –défenderesse de l’Etat devant la justice- a dû ouvrir 1.887 nouveaux dossiers (voir page 4). Ce qui représente une progression de 17% par rapport à 2008. L’Agence que dirige Mohamed Kemmou depuis juin 2010 y voit trois causes: des lois très floues, une application inappropriée du texte, voire son non-respect tout simplement!
Qui sont les cancres?
De quoi mettre à mal les discours officiels sur l’Etat de droit. Avec aussi en arrière-plan une production législative très approximative et des fonctionnaires et agents d’autorité hors la loi.
Qui sont les cancres? Quatre administrations publiques occupent respectivement les 1res places: les Finances, l’Intérieur y compris les services de police (DGSN), la Défense nationale (armée et gendarmerie) puis l’Education nationale. Un classement presque identique à celui de 2008 et où se distinguent des ministères dits de «souveraineté». Une des propositions qui émergent du rapport est de recourir à une double analyse relative à l’impact de la réglementation sur le terrain et à ses implications économiques. Autrement dit, prendre en compte la croissance, la valeur (en investissement par exemple) et le coût que peuvent générer l’adoption d’une loi, son application ou son ignorance. Les juristes de l’AJR parlent d’ailleurs du «coût du contentieux». Il est soit direct et donc lié au traitement et à l’exécution d’une décision de justice. La facture peut être salée s’il y a une amende ou des dommages-intérêts colossaux à payer. Le coût indirect est lié «au fonctionnement de la justice» -engorgement des tribunaux notamment- et à «la détérioration de l’image de l’administration». D’où aussi une autre proposition formulée par le rapport: «Une analyse systémique et globale du contentieux de l’Etat». Sorte de cartographie jurisprudentielle qui se ferait par type de juridiction (administrative ou judiciaire) ou type d’affaire (expropriation, abus de pouvoir, élections…). L’Agence dispose déjà d’un précieux fonds documentaire. Environ 4.000 jugements lui sont notifiés annuellement. Ce flux de décisions permettrait justement de suivre l’évolution jurisprudentielle et donc le degré d’appropriation de la loi par les juges. Dès décembre 2009, la Cour suprême a ainsi considéré que la publication d’un décret au Bulletin officiel équivaut à une notification…
Si réforme il y a, l’AJR devrait être confortée dans son rôle d’observatoire juridique et qu’elle joue déjà de fait. L’idéal serait aussi qu’elle partage sa banque de données avec d’autres départements. Le Secrétariat général du gouvernement est un partenaire idéal puisqu’il édite, depuis 2010, une série: «Documentation juridique marocaine». Son dernier numéro porte sur la haute cour. Le partage de l’information permettra d’élargir l’accessibilité de la jurisprudence et de l’affiner surtout. De quoi épargner aux 100 juristes de l’Agence bien des contentieux inutiles.
Palmarès des litiges générés par l’administration
· 12.880 dossiers ouverts par l’avocat de l’Etat
· Le droit, une culture qui a encore du mal à percer
Retenez bien ce chiffre: 12.880. C’est le nombre de contentieux ouverts en 2009 et où l’Etat est impliqué. Sa défense devant les juridictions est assurée par l’Agence judiciaire du Royaume. Cette institution sous tutelle du ministère des Finances a constaté la progression de certains litiges
législation sociale (accidents travail par exemple), expropriation, excès de pouvoir… Et ceci au moment où d’autres affaires ont stagné, voir baissé telles que celles relatives au statut général de la Fonction publique. C’est pourquoi le contentieux administratif est à la hausse et celui soumis aux juridictions de droits commun (civil, commercial, pénal…) l’est encore plus pour renouer ainsi avec le pic de 2005 et 2006. Le règlement d’un dossier s’étend en général sur plus d’une année. Tout dépend donc du type de juridiction amenée à statuer, la nature de l’enjeu (financier, foncier…) et de la complexité des procédures engagées. Le contentieux fiscal ne relève pas des prérogatives de l’Agence judiciaire. Celui-ci est en effet pris en charge par la Direction général des impôts, également rattachée au ministère des Finances. A souligner aussi que d’autres types d’affaires où sont concernés «uniquement collectivités locales, entreprises et établissements publics» ne sont pas défendus par l’Agence mais par des avocats: son intervention directe en qualité «d’appel en cause» que si la condamnation de l’Etat risque de le déclarer débiteur. Mais l’institution apporte assistance et conseil si ces derniers en font la demande. C’est dire que celle-ci ne livre dans son rapport que les statistiques des affaires qu’elle traite: plus de 16.800 au total. Il faut distinguer à ce titre entre dossiers ouverts (12.880) et traités. Ses cent conseillers ont ainsi chacun résolu en moyenne 171 affaires en 2009. Ce qui représente 17 dossiers traités mensuellement. Un rendement assez important et où sa mesure prend en compte le courrier produit (38.400). Celui-ci inclut correspondances et autres actes de défenses (mémoires, requêtes, conclusions…). Qu’en est il du résultat obtenu? Plus de 52% des jugements sont favorables à l’Etat. Ce qui indique que l’administration peut être fautive mais aussi victime.
L’Agence judicaire précise qu’elle est amenée ainsi «à traiter un contentieux né dans d’autres administration». Ceci rend sa «tâche difficile» surtout que les ministères qui génèrent 80% des affaires, collectivités locales (communes, régions…), établissements et entreprises publiques «ne sont pas souvent facilement défendable». Cette difficulté dont se plaint l’Agence émane du fait qu’elle «ne maîtrise pas les causes du litige». Ce qui signifie aussi que l’Etat et ses administrations peuvent bien s’éviter des procès en ayant recours à l’arbitrage notamment. A condition d’avoir des services juridiques à la hauteur de leur mission. Ce qui n’est pas vraiment le cas. Sinon, pourquoi la primature a-t-elle envoyé courant 2010 une correspondance aux ministères pour les inviter à renforcer leurs équipes de juristes? Un appel qui n’a pas trouvé beaucoup d’échos.
leconomiste