La pression est de plus en plus forte pour modifier la définition du viol en y introduisant la notion de consentement. Est-ce une bonne idée ? Oui, selon la magistrate Valérie-Odile Dervieux qui pointe les difficultés auxquelles l’état actuel du droit confronte les juridictions.
COMME UN OURAGAN ?
Le viol s’invite en tête de l’actualité législative depuis plusieurs semaines : proposition de loi sénatoriale du 1er novembre 2023 reconnaissant l’absence de consentement comme élément constitutif de l’agression sexuelle et du viol, ouverture un mois plus tard d’une mission d’information à l’Assemblée Nationale sur la définition pénale du viol, proposition de loi de l’assemblée Nationale du 13 février 2024 visant à « intégrer la notion de consentement dans la définition pénale des infractions d’agression sexuelle et de viol », polémique européenne[1]…
Mais il s’invite aussi à la rubrique des faits divers : mises en cause de femmes et d’hommes de média et de cinéma, présomption d’innocence, innocences bafouées, indignations sélectives…
Sans oublier l’attentat du 7 octobre 2023.
Le viol, crime de guerre, infraction pénale, symptôme de la société patriarcale est au centre de nombreux débats virulents, souvent menés sans égard pour les principes, notamment de présomption d’innocence.
Dans ce contexte, la demande de modification de la définition pénale du viol pour y introduire expressément la notion de consentement fait florès, non sans contradictions.
“LA JUSTICE NOUS IGNORE, ON IGNORE LA JUSTICE” ?
Comme le souligne Denis Salas[2], le mouvement féministe dénonce la justice sur le sujet tout en la sollicitant massivement.
Adèle HAENEL qui déclarait “La justice nous ignore, on ignore la justice”, a finalement déposé plainte fin 2019 et le renvoi du réalisateur Christophe Ruggia a été requis le 19 février 2024 du chef d’agressions sexuelles sur mineur de 15 ans commises au préjudice de l’actrice.
Le mouvement féministe veut changer la loi pour qu’elle protège et défende la femme en général, « victime de la loi patriarcale » et sanctionne le viol comme « s’inscrivant dans un continuum de violences sexuelles et sexistes ».
Mais la justice rend des décisions d’espèce, sur le fondement de lois pénales d’interprétation stricte et de règles procédurales fondées sur des principes – contradictoire, présomption d’innocence, possibilité de recours – sanctionnés par les jurisprudences des hautes Cour et de la CEDH.
Et si, au-delà des enjeux de politique interne et externe, des actions militantes , on interrogeait tout simplement le droit positif ?
Si le droit français a évolué avec notamment les récentes lois des 3 août 2018 et 21 avril 2021 qui ont successivement inclu dans la définition du viol la pénétration subie par son auteur et les actes bucco-génitaux commis sur la personne d’autrui ou de l’auteur, est-il techniquement adapté ?
CHANGER LA DÉFINITION PÉNALE DU VIOL POUR « LUTTER CONTRE L’IMPUNITÉ » ?
Pour réclamer une réforme de la définition pénale du viol les arguments ne manquent pas :
Certains brandissent des chiffres – « moins de 1 % des viols sont effectivement condamnés ».
Mais l’usage de ces statistiques non étayées (il est vrai que les données consolidées n’existent pas et c’est un vrai sujet) soulève une question de principe :
Comment lier une déclaration unilatérale formulée dans le cadre d’une enquête de victimation à une déclaration de culpabilité – résultat d’un process judiciaire respectueux des droits de chaque partie – pour en déduire l’inefficience du droit positif ?
D’autres se fondent sur la réforme issue de la loi du 21 avril 2021[3] et la création des deux nouvelles infractions des articles 222-23-1 et 222-23-2 du Code pénal qui sanctionnent toute relation sexuelle majeur/mineur sauf exceptions et en déduisent qu’il est légalement possible voire nécessaire :
– de poser une présomption de non-consentement ;
– de renverser la charge de la preuve et la faire peser sur le mis en cause : ce serait à ce dernier de démontrer le consentement du ou de la plaignante.
Or les nouvelles infractions crées en 2021 ne qualifient pas le viol malgré le terme utilisé – maladroitement- par le législateur mais posent des interdits :
– celui des relations majeur/mineur de moins de 15 ans (sauf clause « Roméo),
– celui des relations incestueuses majeur/mineur,
– celui des relations « tarifées » majeur/mineur.
C’est d’ailleurs ce que relève le Conseil constitutionnel dans le considérant 16 de sa décision n° 2023-1058 du 21 juillet 2023 [4].
Reste que les chiffres de la lutte contre les viols et les infractions sexuelles, même s’ils ne sont pas fiables[5], sont mauvais et qu’ils nourrissent la défiance de victimes d’infractions sexuelles.
Reste que le droit positif ne paraît pas juridiquement adapté comme le relève Christian GUERY dans un article paru il a déjà 4 ans (note 3).
CHANGER LA DÉFINITION PÉNALE DU VIOL PAR LE PRISME DU DÉFAUT DE CONSENTEMENT POUR L’ADAPTER TECHNIQUEMENT ?
Le droit français est déjà organisé autour de la notion de consentement :
« L‘absence totale de consentement de la victime, élément constitutif de l’agression sexuelle, doit être caractérisée pour que l’infraction soit constituée » (Crim. 20 juin 2001, n° 00-88.258)
Ce consentement en matière de relation sexuelle est singulier et ne peut se résumer ni à un accord formalisé comme pour un contrat, ni à une manifestation formelle de « volonté » maintenue tout au long de l’acte.
Le juge doit donc pouvoir envisager toutes les nuances de ce consentement au regard des éléments de chaque procédure, dans le cadre d’un débat contradictoire et sous le contrôle notamment de la Cour de cassation.
Or, en l’état, du droit positif :
– la définition de l’infraction sexuelle ne fait pas référence à l’absence de consentement mais seulement à quatre circonstances, extérieures à la victime, pouvant l’objectiver : les violences, les menaces, la contrainte et la surprise;
– la multiplication des circonstances aggravantes rend difficile la caractérisation de l’infraction.
La bande des quatre ?
Si l’article 222-23 du Code pénal parait rédigé d’une manière suffisamment souple pour y faire entrer la plupart des cas de figure, la formulation de la qualification provoque de régulières décisions de cassation d’arrêts basés sur le défaut de consentement mais qui omettent de motiver l’existence de l’un des quatre éléments légaux.[6]
Car la jurisprudence donne en effet auxdits critères (violences, menaces, contrainte et surprise) une quasi-équivalence avec l’absence de consentement.[7]
C’est ainsi que le juge peut être amené à faire entrer des faits au forceps dans un des 4 adminicules pour retenir une culpabilité.
A ainsi été cassée une décision de non-lieu relative à des relations obtenues par « l’emploi d’un stratagème destiné à dissimuler l’identité et les caractéristiques physiques de son auteur pour surprendre le consentement d’une personne et obtenir d’elle un acte de pénétration sexuelle », la Cour de cassation a estimé que le stratagème « constitue la surprise « au sens de l’art 222-23 du Code pénal[8].
Le droit positif relègue ainsi l’absence de consentement à une conséquence de 4 comportements susvisés alors qu’il en est l’essence. Les actes de violence, contrainte, menaces ou surprise ne sont en effet que des circonstances qui entravent la liberté de consentir. Il pourrait y en avoir d’autres.
Si ces quatre comportements sont importants, ils ne sauraient être laissés dans la sphère qualificative du viol et devraient être cantonnés à la sphère probatoire de l’absence de consentement.
Placer la liberté individuelle, sous l’image du consentement, au centre du dispositif est plus cohérent et permet aussi de replacer le consentement, au centre du dispositif en soulignant la valeur pénalement protégée : la liberté sexuelle de chaque personne.
L’absence de différence fondamentale entre l’énumération des quatre modalités de fond et certaines circonstances aggravantes fragilise les poursuites.
Il existe quatorze circonstances aggravantes (art 222-24 CP ss) du viol à ce jour !
*Qualité de la victime : mineur de quinze ans, personne vulnérable, personne vulnérable pour raisons économiques, personne s’adonnant à la prostitution ;
*Qualité de l’auteur : ascendant ou personne ayant autorité, personne abusant de l’autorité que lui confèrent ses fonctions, multiplicité de personnes, conjoint ou concubin, personne en état d’ivresse ou sous stupéfiants ;
*Modus operandi: usage ou menace d’une arme, contact avec un moyen de communication électronique, concours avec un autre viol, présence d’un mineur, administration d’une substance pour altérer le discernement, ( 222-26), fait accompagné, suivi ou précédé d’actes de torture et de barbarie ;
*Conséquences de l’infraction (art. 222-24 1 CP) : mutilation ou infirmité permanente, ( 222-25), mort.
Or certaines d’entre elles s’inscrivent dans la définition de l’incrimination (ex : la contrainte résulte de l’abus d’autorité ou de la différence d’âge, la violence résulte de l’usage d’une arme etc.).
Or le juge pénal doit successivement :
*établir si une infraction a été commise en analysant ses éléments constitutifs, matériel et intentionnel (existence d’une pénétration sexuelle ou d’actes bucco-génitaux, puis violence, contrainte, menace ou surprise),
*déterminer s’il existe ou non des circonstances aggravantes,
et ne peut, en application du principe ne bis in idem,[9] utiliser les faits qui concourent à l’établissement de l’incrimination comme des circonstances aggravantes.
Le juge peut se trouver en difficulté pour justifier à la fois l’existence de l’infraction et son caractère aggravé[10].
Placer la liberté individuelle, sous l’image du consentement, au centre du dispositif permet également de retenir plus simplement les circonstances aggravantes même si un « toilettage » des dispositions légales concernées, paraît s’imposer.
Au regard de cette double difficulté du droit français du viol, la définition retenue par le Code pénal belge paraît constituer une base de réflexion en vue d’une redéfinition :
*elle place le consentement au centre de l’incrimination.
*elle en pose les limites pour éviter les insuffisances d’une définition subjective comme basée sur le seul consentement.
*elle permet de distinguer les éléments constitutifs des circonstances aggravantes :
« Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit et par quelque moyen que ce soit, commis sur une personne qui n’y consent pas, constitue le crime de viol. Il n’y a pas consentement notamment lorsque l’acte a été imposé par la violence, contrainte, menace, surprise ou ruse, ou a été rendu possible en raison d’une infirmité ou d’une déficience physique ou mentale de la victime ».
Établir le viol autour du défaut de consentement n’est donc ni le signe d’un désengagement du législateur sur le juge, ni un acte militant, ni un renoncement de souveraineté face à des propositions européennes mais adaptation du droit aux exigences de rationalisation de la règle de droit tout en permettant au juge de développer une casuistique adaptée à la diversité des situations[11].
La réforme, si elle intervient, ne résoudra pas tout.
Il conviendra également d’interroger le manque de statistiques fiabilisées, les complexités de la procédure pénale et ses longueurs induites (légitimement ressenties par les parties comme insupportables[12]), les modalités insuffisantes de prise en charge des victimes de violences sexuelles, l’absence de réflexion réelle sur les infractions sexuelles commises sur les mineurs par les mineurs[13] et enfin les moyens de la justice et des forces de sécurité intérieures dédiées.
Encore beaucoup de chemin(s) à parcourir.
[1] L’UE adopte la première loi sur les violences faites aux femmes, mais le viol n’y figure pas
[2] Actu-Jurique 29 sept 23 : Denis Salas, la justice et le Déni du viol
[3] visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l’inceste
[4] « En adoptant ces dispositions, le législateur a interdit tout acte de pénétration sexuelle ou bucco-génital entre un majeur et un mineur de quinze ans, lorsque la différence d’âge entre eux est d’au moins cinq ans. D’une part, cette incrimination, dont la caractérisation n’exige pas que ces actes soient commis avec violence, contrainte, menace ou surprise, ne repose pas sur une présomption d’absence de consentement de la victime. D’autre part, il appartient aux autorités de poursuite de rapporter la preuve de l’ensemble de ses éléments constitutifs.
[5] -Les chiffres justice dec 23 : Infos Rapides Justice n°9
– Violences sexuelles et atteintes aux mœurs : les décisions du parquet et de l’instruction (Info stat 2018)
[6] Ex : Crim., 10 déc. 2014, pourvoi n13-88.102 ; Crim, 9 septembre 2015 ; pourvoi n14-84.883 ; Crim., 17 oct 2018, pourvoi n17-83.958 ; Crim., 4 sept. 2019, n° 18-83.467 ; Crim., 17 mars 2021, pourvoi n 20-82.589 ; Crim., 15 juin 2022, pourvoi n° 21-84.519
[7] Crim. 11 janv. 2017 ; Crim. 22 janv. 1997, n° 96-80.353) ; Crim. 23 janv. 2019, n° 18-82.333
[8] Crim, 23 janv. 2019, 18-82.833, Publié au bulletin
[9] Crim. 26 oct. 2016, n° 15-84.552, Bull. crim., n°276
[10] Crim. 10 mai 2001, n° 00-87.65 ; Crim. 1er mars 1995, Bull. crim., n° 92 ;Crim. 4 sept. 2019, n n° 18-84.334, NP, Crim. 8 janv. 2020, n° 19-80.612.
[11] La mémoire traumatique : violences sexuelles et psycho-trauma Muriel Salmona, Les Cahiers de la Justice 2018/1 (N° 1), pages 69 à 87
[12] Simplifions la procédure pénale : extension du domaine de la négociation Actu-Juridique VO Dervieux 13mars 23
[13] PJ / Audition du 28/0823 ; Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes ; Violences sexuelles : mieux aider les victimes ; Mieux traiter les victimes d’infractions sexuelles ? Actu-Juridique 5 sept 23
BIBLIOGRAPHIE
PPL visant à intégrer la notion de consentement dans la définition pénale des infractions d’agression sexuelle et de viol (15 fev 24)
Viols : L’impunité jusqu’à quand ? Par Béatrice BRUGÈRE
Viol : En finir avec la prescription ? Par Béatrice BRUGÈRE, Caroline FOUREST
Mieux traiter les victimes d’infractions sexuelles ? Actu-Juridique VO DERVIEUX
Denis SALAS, la justice et le Déni du viol Actu-Juridique (29/9/23)
Dossier (https://signal.sciencespo-lyon.fr/numero/49312/La-justice-de-l-intime
Convention d’Istanbul
Cycle d’évaluation de référence
Rapport étatique adressé au GREVIO reçu le 5 avril 2018
Rapport d’évaluation de référence du GREVIO 19 novembre 2019
Commentaires du gouvernement sur le rapport d’évaluation de référence du GREVIO 19 nov. 2019
Informations complémentaires de : COFRADE, CLEF, Equipop.org, « Excision parlons-en ! » and « End FGM European Network, la Ligue des droits de l’Homme (LdH), contribution from 11 joint NGOs
Recommandation du Comité des Parties publiée le 4 février 2020
Formulaire de rapport soumis par les autorités françaises reçu le 27 janvier 2023
Conclusions sur la mise en oeuvre des recommandations du Comité des Parties 2 juin 2023
Informations complémentaires de : COFRADE, Cimade and Gisti, la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme (CNCDH)
Couverture médiatique : Le Figaro, Le Monde
L’UE adopte la première loi sur les violences faites aux femmes, mais le viol n’y figure pas
COMME UN OURAGAN ?
Le viol s’invite en tête de l’actualité législative depuis plusieurs semaines : proposition de loi sénatoriale du 1er novembre 2023 reconnaissant l’absence de consentement comme élément constitutif de l’agression sexuelle et du viol, ouverture un mois plus tard d’une mission d’information à l’Assemblée Nationale sur la définition pénale du viol, proposition de loi de l’assemblée Nationale du 13 février 2024 visant à « intégrer la notion de consentement dans la définition pénale des infractions d’agression sexuelle et de viol », polémique européenne[1]…
Mais il s’invite aussi à la rubrique des faits divers : mises en cause de femmes et d’hommes de média et de cinéma, présomption d’innocence, innocences bafouées, indignations sélectives…
Sans oublier l’attentat du 7 octobre 2023.
Le viol, crime de guerre, infraction pénale, symptôme de la société patriarcale est au centre de nombreux débats virulents, souvent menés sans égard pour les principes, notamment de présomption d’innocence.
Dans ce contexte, la demande de modification de la définition pénale du viol pour y introduire expressément la notion de consentement fait florès, non sans contradictions.
“LA JUSTICE NOUS IGNORE, ON IGNORE LA JUSTICE” ?
Comme le souligne Denis Salas[2], le mouvement féministe dénonce la justice sur le sujet tout en la sollicitant massivement.
Adèle HAENEL qui déclarait “La justice nous ignore, on ignore la justice”, a finalement déposé plainte fin 2019 et le renvoi du réalisateur Christophe Ruggia a été requis le 19 février 2024 du chef d’agressions sexuelles sur mineur de 15 ans commises au préjudice de l’actrice.
Le mouvement féministe veut changer la loi pour qu’elle protège et défende la femme en général, « victime de la loi patriarcale » et sanctionne le viol comme « s’inscrivant dans un continuum de violences sexuelles et sexistes ».
Mais la justice rend des décisions d’espèce, sur le fondement de lois pénales d’interprétation stricte et de règles procédurales fondées sur des principes – contradictoire, présomption d’innocence, possibilité de recours – sanctionnés par les jurisprudences des hautes Cour et de la CEDH.
Et si, au-delà des enjeux de politique interne et externe, des actions militantes , on interrogeait tout simplement le droit positif ?
Si le droit français a évolué avec notamment les récentes lois des 3 août 2018 et 21 avril 2021 qui ont successivement inclu dans la définition du viol la pénétration subie par son auteur et les actes bucco-génitaux commis sur la personne d’autrui ou de l’auteur, est-il techniquement adapté ?
CHANGER LA DÉFINITION PÉNALE DU VIOL POUR « LUTTER CONTRE L’IMPUNITÉ » ?
Pour réclamer une réforme de la définition pénale du viol les arguments ne manquent pas :
Certains brandissent des chiffres – « moins de 1 % des viols sont effectivement condamnés ».
Mais l’usage de ces statistiques non étayées (il est vrai que les données consolidées n’existent pas et c’est un vrai sujet) soulève une question de principe :
Comment lier une déclaration unilatérale formulée dans le cadre d’une enquête de victimation à une déclaration de culpabilité – résultat d’un process judiciaire respectueux des droits de chaque partie – pour en déduire l’inefficience du droit positif ?
D’autres se fondent sur la réforme issue de la loi du 21 avril 2021[3] et la création des deux nouvelles infractions des articles 222-23-1 et 222-23-2 du Code pénal qui sanctionnent toute relation sexuelle majeur/mineur sauf exceptions et en déduisent qu’il est légalement possible voire nécessaire :
– de poser une présomption de non-consentement ;
– de renverser la charge de la preuve et la faire peser sur le mis en cause : ce serait à ce dernier de démontrer le consentement du ou de la plaignante.
Or les nouvelles infractions crées en 2021 ne qualifient pas le viol malgré le terme utilisé – maladroitement- par le législateur mais posent des interdits :
– celui des relations majeur/mineur de moins de 15 ans (sauf clause « Roméo),
– celui des relations incestueuses majeur/mineur,
– celui des relations « tarifées » majeur/mineur.
C’est d’ailleurs ce que relève le Conseil constitutionnel dans le considérant 16 de sa décision n° 2023-1058 du 21 juillet 2023 [4].
Reste que les chiffres de la lutte contre les viols et les infractions sexuelles, même s’ils ne sont pas fiables[5], sont mauvais et qu’ils nourrissent la défiance de victimes d’infractions sexuelles.
Reste que le droit positif ne paraît pas juridiquement adapté comme le relève Christian GUERY dans un article paru il a déjà 4 ans (note 3).
CHANGER LA DÉFINITION PÉNALE DU VIOL PAR LE PRISME DU DÉFAUT DE CONSENTEMENT POUR L’ADAPTER TECHNIQUEMENT ?
Le droit français est déjà organisé autour de la notion de consentement :
« L‘absence totale de consentement de la victime, élément constitutif de l’agression sexuelle, doit être caractérisée pour que l’infraction soit constituée » (Crim. 20 juin 2001, n° 00-88.258)
Ce consentement en matière de relation sexuelle est singulier et ne peut se résumer ni à un accord formalisé comme pour un contrat, ni à une manifestation formelle de « volonté » maintenue tout au long de l’acte.
Le juge doit donc pouvoir envisager toutes les nuances de ce consentement au regard des éléments de chaque procédure, dans le cadre d’un débat contradictoire et sous le contrôle notamment de la Cour de cassation.
Or, en l’état, du droit positif :
– la définition de l’infraction sexuelle ne fait pas référence à l’absence de consentement mais seulement à quatre circonstances, extérieures à la victime, pouvant l’objectiver : les violences, les menaces, la contrainte et la surprise;
– la multiplication des circonstances aggravantes rend difficile la caractérisation de l’infraction.
La bande des quatre ?
Si l’article 222-23 du Code pénal parait rédigé d’une manière suffisamment souple pour y faire entrer la plupart des cas de figure, la formulation de la qualification provoque de régulières décisions de cassation d’arrêts basés sur le défaut de consentement mais qui omettent de motiver l’existence de l’un des quatre éléments légaux.[6]
Car la jurisprudence donne en effet auxdits critères (violences, menaces, contrainte et surprise) une quasi-équivalence avec l’absence de consentement.[7]
C’est ainsi que le juge peut être amené à faire entrer des faits au forceps dans un des 4 adminicules pour retenir une culpabilité.
A ainsi été cassée une décision de non-lieu relative à des relations obtenues par « l’emploi d’un stratagème destiné à dissimuler l’identité et les caractéristiques physiques de son auteur pour surprendre le consentement d’une personne et obtenir d’elle un acte de pénétration sexuelle », la Cour de cassation a estimé que le stratagème « constitue la surprise « au sens de l’art 222-23 du Code pénal[8].
Le droit positif relègue ainsi l’absence de consentement à une conséquence de 4 comportements susvisés alors qu’il en est l’essence. Les actes de violence, contrainte, menaces ou surprise ne sont en effet que des circonstances qui entravent la liberté de consentir. Il pourrait y en avoir d’autres.
Si ces quatre comportements sont importants, ils ne sauraient être laissés dans la sphère qualificative du viol et devraient être cantonnés à la sphère probatoire de l’absence de consentement.
Placer la liberté individuelle, sous l’image du consentement, au centre du dispositif est plus cohérent et permet aussi de replacer le consentement, au centre du dispositif en soulignant la valeur pénalement protégée : la liberté sexuelle de chaque personne.
L’absence de différence fondamentale entre l’énumération des quatre modalités de fond et certaines circonstances aggravantes fragilise les poursuites.
Il existe quatorze circonstances aggravantes (art 222-24 CP ss) du viol à ce jour !
*Qualité de la victime : mineur de quinze ans, personne vulnérable, personne vulnérable pour raisons économiques, personne s’adonnant à la prostitution ;
*Qualité de l’auteur : ascendant ou personne ayant autorité, personne abusant de l’autorité que lui confèrent ses fonctions, multiplicité de personnes, conjoint ou concubin, personne en état d’ivresse ou sous stupéfiants ;
*Modus operandi: usage ou menace d’une arme, contact avec un moyen de communication électronique, concours avec un autre viol, présence d’un mineur, administration d’une substance pour altérer le discernement, ( 222-26), fait accompagné, suivi ou précédé d’actes de torture et de barbarie ;
*Conséquences de l’infraction (art. 222-24 1 CP) : mutilation ou infirmité permanente, ( 222-25), mort.
Or certaines d’entre elles s’inscrivent dans la définition de l’incrimination (ex : la contrainte résulte de l’abus d’autorité ou de la différence d’âge, la violence résulte de l’usage d’une arme etc.).
Or le juge pénal doit successivement :
*établir si une infraction a été commise en analysant ses éléments constitutifs, matériel et intentionnel (existence d’une pénétration sexuelle ou d’actes bucco-génitaux, puis violence, contrainte, menace ou surprise),
*déterminer s’il existe ou non des circonstances aggravantes,
et ne peut, en application du principe ne bis in idem,[9] utiliser les faits qui concourent à l’établissement de l’incrimination comme des circonstances aggravantes.
Le juge peut se trouver en difficulté pour justifier à la fois l’existence de l’infraction et son caractère aggravé[10].
Placer la liberté individuelle, sous l’image du consentement, au centre du dispositif permet également de retenir plus simplement les circonstances aggravantes même si un « toilettage » des dispositions légales concernées, paraît s’imposer.
Au regard de cette double difficulté du droit français du viol, la définition retenue par le Code pénal belge paraît constituer une base de réflexion en vue d’une redéfinition :
*elle place le consentement au centre de l’incrimination.
*elle en pose les limites pour éviter les insuffisances d’une définition subjective comme basée sur le seul consentement.
*elle permet de distinguer les éléments constitutifs des circonstances aggravantes :
« Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit et par quelque moyen que ce soit, commis sur une personne qui n’y consent pas, constitue le crime de viol. Il n’y a pas consentement notamment lorsque l’acte a été imposé par la violence, contrainte, menace, surprise ou ruse, ou a été rendu possible en raison d’une infirmité ou d’une déficience physique ou mentale de la victime ».
Établir le viol autour du défaut de consentement n’est donc ni le signe d’un désengagement du législateur sur le juge, ni un acte militant, ni un renoncement de souveraineté face à des propositions européennes mais adaptation du droit aux exigences de rationalisation de la règle de droit tout en permettant au juge de développer une casuistique adaptée à la diversité des situations[11].
La réforme, si elle intervient, ne résoudra pas tout.
Il conviendra également d’interroger le manque de statistiques fiabilisées, les complexités de la procédure pénale et ses longueurs induites (légitimement ressenties par les parties comme insupportables[12]), les modalités insuffisantes de prise en charge des victimes de violences sexuelles, l’absence de réflexion réelle sur les infractions sexuelles commises sur les mineurs par les mineurs[13] et enfin les moyens de la justice et des forces de sécurité intérieures dédiées.
Encore beaucoup de chemin(s) à parcourir.
[1] L’UE adopte la première loi sur les violences faites aux femmes, mais le viol n’y figure pas
[2] Actu-Jurique 29 sept 23 : Denis Salas, la justice et le Déni du viol
[3] visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l’inceste
[4] « En adoptant ces dispositions, le législateur a interdit tout acte de pénétration sexuelle ou bucco-génital entre un majeur et un mineur de quinze ans, lorsque la différence d’âge entre eux est d’au moins cinq ans. D’une part, cette incrimination, dont la caractérisation n’exige pas que ces actes soient commis avec violence, contrainte, menace ou surprise, ne repose pas sur une présomption d’absence de consentement de la victime. D’autre part, il appartient aux autorités de poursuite de rapporter la preuve de l’ensemble de ses éléments constitutifs.
[5] -Les chiffres justice dec 23 : Infos Rapides Justice n°9
– Violences sexuelles et atteintes aux mœurs : les décisions du parquet et de l’instruction (Info stat 2018)
[6] Ex : Crim., 10 déc. 2014, pourvoi n13-88.102 ; Crim, 9 septembre 2015 ; pourvoi n14-84.883 ; Crim., 17 oct 2018, pourvoi n17-83.958 ; Crim., 4 sept. 2019, n° 18-83.467 ; Crim., 17 mars 2021, pourvoi n 20-82.589 ; Crim., 15 juin 2022, pourvoi n° 21-84.519
[7] Crim. 11 janv. 2017 ; Crim. 22 janv. 1997, n° 96-80.353) ; Crim. 23 janv. 2019, n° 18-82.333
[8] Crim, 23 janv. 2019, 18-82.833, Publié au bulletin
[9] Crim. 26 oct. 2016, n° 15-84.552, Bull. crim., n°276
[10] Crim. 10 mai 2001, n° 00-87.65 ; Crim. 1er mars 1995, Bull. crim., n° 92 ;Crim. 4 sept. 2019, n n° 18-84.334, NP, Crim. 8 janv. 2020, n° 19-80.612.
[11] La mémoire traumatique : violences sexuelles et psycho-trauma Muriel Salmona, Les Cahiers de la Justice 2018/1 (N° 1), pages 69 à 87
[12] Simplifions la procédure pénale : extension du domaine de la négociation Actu-Juridique VO Dervieux 13mars 23
[13] PJ / Audition du 28/0823 ; Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes ; Violences sexuelles : mieux aider les victimes ; Mieux traiter les victimes d’infractions sexuelles ? Actu-Juridique 5 sept 23
BIBLIOGRAPHIE
PPL visant à intégrer la notion de consentement dans la définition pénale des infractions d’agression sexuelle et de viol (15 fev 24)
Viols : L’impunité jusqu’à quand ? Par Béatrice BRUGÈRE
Viol : En finir avec la prescription ? Par Béatrice BRUGÈRE, Caroline FOUREST
Mieux traiter les victimes d’infractions sexuelles ? Actu-Juridique VO DERVIEUX
Denis SALAS, la justice et le Déni du viol Actu-Juridique (29/9/23)
Dossier (https://signal.sciencespo-lyon.fr/numero/49312/La-justice-de-l-intime
Convention d’Istanbul
Cycle d’évaluation de référence
Rapport étatique adressé au GREVIO reçu le 5 avril 2018
Rapport d’évaluation de référence du GREVIO 19 novembre 2019
Commentaires du gouvernement sur le rapport d’évaluation de référence du GREVIO 19 nov. 2019
Informations complémentaires de : COFRADE, CLEF, Equipop.org, « Excision parlons-en ! » and « End FGM European Network, la Ligue des droits de l’Homme (LdH), contribution from 11 joint NGOs
Recommandation du Comité des Parties publiée le 4 février 2020
Formulaire de rapport soumis par les autorités françaises reçu le 27 janvier 2023
Conclusions sur la mise en oeuvre des recommandations du Comité des Parties 2 juin 2023
Informations complémentaires de : COFRADE, Cimade and Gisti, la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme (CNCDH)
Couverture médiatique : Le Figaro, Le Monde
L’UE adopte la première loi sur les violences faites aux femmes, mais le viol n’y figure pas