Monsieur le Président de la Commission des Lois du Sénat,
cher Jean-Jacques HYEST,
Monsieur le Procureur Général,
Madame le Président du tribunal de commerce de Paris,
Monsieur le Procureur de la République,
Mesdames et Messieurs,
C'est un grand plaisir pour moi d'ouvrir ces quatrièmes « Entretiens du Tribunal du commerce de Paris ».
Chère Perrette Rey, ce colloque est une excellente initiative. Je me félicite qu'autant de compétences et d'expériences se trouvent réunies aujourd'hui pour débattre de la réforme de la loi de sauvegarde des entreprises.
Je connais le dynamisme des juges consulaires de France. Je l'ai particulièrement apprécié lors des travaux sur la refonte de la carte judiciaire, qui a évidemment concerné les tribunaux de commerce.
Votre implication personnelle dans cette réforme, chère Perette REY, n'est un secret pour personne. Vous l'avez toujours soutenue. Vous l'avez même souhaitée.
Vous avez su convaincre le monde consulaire qu'il fallait aller de l'avant. Vous avez su vaincre des réticences par votre exceptionnel pouvoir de conviction.
Vous le savez, j'ai obtenu un bon budget pour la justice en 2008. Les syndicats avaient dit que je serais jugée sur les moyens. Ce n'était pas évident. La situation de la France est difficile : une dette de 1 150 milliards €, un déficit de 41 milliards.
La justice a un bon budget. Les députés l'ont adopté et les sénateurs l'examineront demain.
- des crédits qui augmentent de 4,5 % (6,5 milliards €)
- tous les départs en retraite sont remplacés. 1 615 emplois supplémentaires sont créés.
C'est un budget qui témoigne de la considération du Président de la République, du Gouvernement et du Parlement pour toutes celles et tous ceux qui oeuvrent à la justice :
- Les magistrats, les greffiers, les fonctionnaires,
- Les éducateurs de la protection judiciaire de la jeunesse
- Les personnels de l'administration pénitentiaire
- Les auxiliaires de justice : avocats, huissiers, notaires.
Un bon budget, c'est un budget pour la modernisation, pour la réforme. Un budget où on met les moyens là où c'est nécessaire, car c'est l'argent des Français.
Beaucoup de Français reprochent à la justice d'être lente.
Mais ses moyens sont dispersés dans 1 200 juridictions.
Il y a actuellement 50 tribunaux ou greffes sans magistrats ou sans fonctionnaires. Une juridiction sans magistrat ou sans fonctionnaire, ce n'est plus vraiment une juridiction.
On ne peut pas assurer la continuité du service public avec deux juges dans un tribunal. Il suffit d'un congé maladie pour bloquer une juridiction. Quand vous avez 20 magistrats, on arrive toujours à trouver des solutions, et le justiciable est
satisfait.
Regrouper les tribunaux, c'est conserver tous les moyens. C'est aussi réduire les délais (charge de travail mieux répartie, audiencement plus rapide des affaires, notification plus rapide des jugements) avec plus d'efficacité, plus de moyens et les nouvelles technologies pour améliorer les conditions de travail de tous ceux qui sont au service de la Justice.
C'est améliorer la qualité de la justice (des juges moins isolés, qui peuvent échanger sur des dossiers compliqués : l'affaire d'Outreau en a montré l'impérieuse nécessité). C'est enfin assurer une meilleure sécurité aux personnels et au public accueilli dans les tribunaux, comme je m'y suis engagée et aujourd'hui réalisée.
C'est cela, la réforme de la carte judiciaire. Je sais qu'elle n'est pas toujours comprise. Les Français ont parfois le sentiment qu'on leur retire quelque chose. Je veux leur dire qu'au contraire, on va leur donner une justice plus à leur écoute, plus rapide, plus moderne. La justice va mieux s'organiser pour répondre à leurs besoins.
Madame la Présidente, dans l'histoire de la Conférence des juges consulaires de France, votre présidence aura marqué les esprits. Tout comme votre présidence du tribunal de commerce de Paris qui s'achève dans quelques semaines.
Je tiens publiquement, à vous en rendre hommage. Je veux vous remercier pour tout ce que vous avez accompli.
Vous bénéficiez aujourd'hui, pour aider à votre réflexion, de l'expérience et de la compétence du président Jean-Jacques Hyest. Sa présence ici montre la part active que prend le Sénat dans la modernisation de notre droit économique. Nous ne pouvons que nous en réjouir.
C'est l'occasion pour moi de rappeler, cher Président, que le Sénat a adopté le 21 novembre dernier en première lecture votre proposition de loi réformant la prescription civile.
C'est une réforme considérable tant pour les personnes que pour les entreprises. Je veux encore vous remercier de l'avoir conduite.
Vous avez été, Monsieur le Président, l'un des principaux auteurs de la loi de sauvegarde. Je sais que vous en êtes fier ! En amont de sa conception, vos travaux en avaient déjà fixé les grandes lignes. Lors des débats parlementaires, votre rapport l'a considérablement enrichie. Tous en saluent les mérites.
Le colloque d'aujourd'hui permet de prolonger votre réflexion. Il faut tout faire pour amplifier les effets de cette bonne loi.
Madame la Présidente,
C'est ici, dans votre tribunal, que le 6 septembre dernier, le Président de la République a rappelé la nécessité d'adapter la loi de sauvegarde. Nicolas Sarkozy l'a clairement dit : « Il faut aller plus loin, avec beaucoup plus d'audace en matière de prévention des difficultés ».
Le ministère de la justice et le ministère de l'Economie, des finances et de l'emploi travaillent ensemble sur un projet de loi. Les réflexions sont déjà bien avancées.
Les débats ne sont pas clos. Vos idées et vos propositions nous serons très précieuses.
Le droit ne doit pas être un frein à notre économie. Il doit être un levier de croissance. Il contribue à libérer les initiatives.
Etre chef d'entreprise est un défi et une responsabilité. Il ne faut pas que les difficultés rencontrées s'achèvent par desnaufrages économiques et humains. C'est en développant les mesures d'accompagnement des entreprises en difficulté que nous préserverons la croissance et l'emploi.
La loi sur la sauvegarde a constitué une première étape de l'accompagnement des entreprises en difficultés. (I)
Il faut maintenant aller plus loin.
I- La loi du 26 juillet 2005 de sauvegarde des entreprises a été une première étape dans l'accompagnement des entreprises en difficultés
Cette loi a tout d'abord permis une évolution importante des mentalités. La relation entre les entrepreneurs et la justice commerciale a été transformée.
Aujourd'hui, se placer sous la protection de la justice n'est plus synonyme d'échec. La perception des tribunaux de commerce a changé.
Regardez comme a été rapidement remplacé la référence au « dépôt de bilan » par celle de la « demande de protection judiciaire ».
Cette évolution a été rendue possible parce que la loi de juillet 2005 a permis une anticipation des difficultés. C'est une innovation essentielle.
La procédure de sauvegarde incarne l'esprit d'anticipation voulu par le législateur. Elle a répondu à une lacune du droit français. Quand la Justice intervenait, il était bien souvent déjà trop tard. Chacun avait en tête que la Justice était là pour
sanctionner un fautif et souvent pour l'exproprier.
La procédure de sauvegarde offre un accompagnement judiciaire avant que les problèmes financiers ne deviennent insolubles.
Sans la sauvegarde et les comités de créanciers, le sauvetage du groupe Eurotunnel aurait été impossible. Jacques Gounon peut en témoigner.
Cette procédure nouvelle a souvent été mise en oeuvre. Presque tous les tribunaux l'ont utilisée ! Elle a concerné des entreprises de toutes tailles exerçant dans l'ensemble des secteurs d'activité.
En 2006, plus de 30% des procédures ont été ouvertes à l'égard d'entreprises de moins de 5 salariés. 90 % des procédures concernaient des entreprises de moins de 50 salariés.
Le taux de succès de la sauvegarde apparaît nettement supérieur à celui des redressements judiciaires. C'est la preuve que le législateur a vu juste en décidant de favoriser l'anticipation des difficultés.
La création de la procédure de conciliation a également été une innovation essentielle de la loi de 2005. Vous avez su, plus que quiconque, chère Perrette REY, en faire valoir l'immense intérêt.
Cette procédure amiable et confidentielle est unanimement appréciée. Le nombre de conciliations ouvertes par les tribunaux de commerce en 2006 a connu une augmentation de 125 % par rapport au nombre de règlements amiables ouverts en 2005. Mais c'est beaucoup plus encore à Paris, où la conciliation est la procédure de prévention la plus utilisée.
Sauvegarde et conciliation sont des procédures efficaces. Elles sont encore insuffisamment utilisées. En 2006, 500 procédures de sauvegarde et 800 conciliations ont été ouvertes.
Ces chiffres sont faibles, comparés aux 45.000 défaillances d'entreprises constatées chaque année.
Il reste encore un décalage entre la loi et les besoins des entreprises. Trop de contraintes demeurent. Il faut aller plus loin.
II- Dans cette perspective, plusieurs améliorations sont nécessaires
Tout d'abord, il faut rendre la sauvegarde plus accessible. Il est nécessaire d'assouplir ses critères d'ouverture. En 2005, le législateur a rigoureusement encadré le recours à la sauvegarde. Il fallait éviter que cette procédure ne devienne un outil pour échapper à des créanciers. La pratique a démontré que le caractère public de la sauvegarde était suffisamment dissuasif.
Nous devons ensemble aujourd'hui en tirer les enseignements. Le dirigeant ne doit plus être soumis à un examen de passage où l'on étudie ses motivations. Il faut faire preuve de souplesse pour faciliter l'accès à la mesure de sauvegarde.
La sauvegarde intervient en amont de la cessation des paiements. C'est une procédure préventive. La réforme ne changera pas ce principe.
Le renforcement de l'attractivité de la sauvegarde constitue une autre amélioration indispensable.
L'objectif est d'inciter les dirigeants à recourir davantage à la sauvegarde. Trop d'entrepreneurs se détournent de cette procédure par peur d'être dépossédés de leur entreprise. Ils gardent dans leur esprit l'effet des anciennes procédures qu'ils subissaient sous la contrainte.
La procédure de sauvegarde ne doit pas être synonyme de défiance à l'égard du chef d'entreprise. Nous devons lui faire confiance.
Il faut revoir les dispositions qui l'écartent de la gestion de son entreprise. Il faut supprimer celles qui neutralisent ses pouvoirs d'actionnaire ou d'associé. Ces dispositions sont trop dissuasives.
Une réflexion mérite également d'être conduite sur le régime simplifié de la liquidation. Les très petites entreprises doivent pouvoir en bénéficier plus souvent. Ce régime est insuffisamment mis en oeuvre. Il constitue pourtant une excellente mesure qui permet de clôturer rapidement une liquidation judiciaire. Les obstacles qui nuisent à son application doivent être identifiés et supprimés.
Au tribunal de commerce de Paris, vous avez su, avant la loi, faire de l'accélération des liquidations un axe fort de votre jurisprudence. Encore une fois vous avez été novateurs.
La réforme sera également l'occasion d'améliorer certains dispositifs dont la pratique a révélé les lacunes. Le rapport de la Commission des lois de l'Assemblée Nationale les a clairement identifiées.
Il s'agit notamment de la constitution et du fonctionnement des comités de créanciers.
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Le projet qui sera soumis au Parlement renforcera à nouveau la culture de l'anticipation. Le changement de mentalité initié en 2005 doit se poursuivre.
C'est à vous, juges consulaires, avocats, mandataires de justice, experts comptables, qu'il appartient de convaincre les dirigeants d'entreprise du bien fondé de l'anticipation. C'est à vous de leur montrer que votre intervention est bénéfique. C'est à vous de prouver que la faillite n'est pas une fatalité.
Certaines initiatives ont déjà été lancées. Je pense en particulier au renforcement des Centres d'Information sur la Prévention.
Il faut poursuivre les efforts.
Sachez que le Gouvernement les poursuivra avec vous.
Je vous remercie d'avoir accepté de l'aider dans sa réflexion.