INTRODUCTION
Pendant longtemps, l’Afrique a tourné le dos à la mer. Celle-ci représentait dans l’imaginaire collectif africain davantage un risque qui poussait à se barricader qu’une opportunité qui incitait à l’aventure maritime. Le coût du déficit dans la conscience géo-maritime africaine est considérable. Cela va du taux de croissance économique perdu à une souveraineté maritime non entièrement consolidée. Une telle situation risque de s’aggraver dans l’avenir non lointain et ce, à mesure que la course à la mer et les rivalités des puissances sur les ressources maritimes s’accentuent.
D’où l’impératif pour le continent de construire une stratégie maritime intégrée et volontariste. Il s’agit là d’un élan de virage stratégique à ne pas évaluer si l’Afrique aspire à devenir un véritable sujet et non un simple objet dans l’arène de la compétition et de la valorisation des espaces maritimes.
En effet, la mer est en passe de devenir la nouvelle frontière de développement. Deux éléments révèlent et accélèrent la forte appréciation de la mer dont les rapports internationaux : d’une part, la raréfaction des ressources naturelles dans les terres après des siècles d’exploitation à outrance, et, d’autre part, les développements technologiques impressionnants qui permettre aujourd’huid’exploreretd’exploiterdesressourcesmarinesdansdesdomainesetdesproportions jamais égalées. Ces deux éléments sont à mettre en correspondance avec le début de la fin du monopole stratégique de l’Occident sur les mers et les océans. Une sorte de démocratisation de l’ambition à l’accès à la mer s’installe dans le paysage marin mondial. « Il existe en effet chez les puissances émergentes, ou celles souhaitant le devenir, une prise de conscience de l’importance de la mer comme facteur démultiplicateur des attributs de leur puissance ».
L’ambition de la valorisation de son capital maritime devrait à fortiori constituer une priorité africaine. Conscient de ces transformations stratégiques, le Maroc a mis en place des initiatives maritimes ambitieuses. De telles initiatives pourraient être regroupées en deux compartiments. Un compartiment national qui vise l’appropriation, la valorisation et la préservation de ses espaces maritimes. Et un compartiment régional qui aspire à capitaliser sur les avancées réalisées au niveau national pour promouvoir et à assurer une véritable coopération entre les pays africains riverains de l’océan Atlantique.
Force d’ailleurs est de remarquer le caractère complémentaire entre les deux compartiments des initiatives maritimes marocaines, qui, au demeurant, cadrent parfaitement avec le modèle de coopération Sud/Sud promu par la stratégie africaine du royaume.
Cinq leviers principaux sont susceptibles d’être actionnés : le levier de l’appropriation du projet par tous les pays africains riverains de l’Atlantique, le levier de la mutualisation des moyens et des ressources maritimes dont disposent ces payeurs, le levier de l’inclusion des pays du Sahel via leur désenclavement, le levier de l’articulation qui vise l’arrimage de l’édifice de l’Afrique atlantique avec les autres initiatives adoptées au niveau continental et, enfin, le levier de l’opérationnalisation par la transformation de l’ambition africaine atlantique en des projets structurants et concrets.
Le levier de l’appropriation
Le vouloir construire ensemble est le seul gage pour un espace atlantique africain fiable et durable. C’est pourquoi l’initiative marocaine pour la promotion de l’espace Afrique atlantique gagnerait à s’inscrire dans une dynamique d’appropriation collective dans l’ensemble des pays de la région. Cela devrait être l’affaire des États, mais aussi, et surtout de la société civile et des peuples de la région.
La mer est par nature un espace qui repose sur ce que les terres séparent. Considérés ainsi, les espaces maritimes de l’Afrique atlantique pourraient bien constituer les bases d’une identité fédératrice et anciennement le socle d’une coopération constructive dans la région. L’initiative mériterait d’être consolidée par une appropriation partagée de l’espace dans un esprit de leadership collectif.
Il est en effet primordial pour l’efficacité et la durabilité du projet atlantique africain que toutes les parties prennent conscience de l’importance de l’appropriation collective de l’espace visé. Il convient à ce propose de clarifier un point fort signifiant : bien que le support géographique facilite et solidifie toute architecture de coopération, il n’existe nullement des croisements mathématiques entre les espaces géographiques et les espaces géopolitiques. Bien des espaces géopolitiques sont détachés de tout élément géographique. Pareillement, bien d’espaces géographiques sont dépourvus de tout schéma géopolitique.
L’élément central dans l’adéquation de l’intégration est le sentiment profond chez tous les acteurs de l’appartenance à un espace fondé sur des identités conscientes et nourries par des ambitions agissantes. Il conviendrait donc de solidifier le support géographique par la volonté d’appartenance des acteurs qui passeraient par l’appropriation de l’ambition d’intégration.
Le levier de la mutualisation
Aux ambitions maritimes correspondent des moyens de réalisation adéquats. L’exploration, l’exploitation et « l’aménagement territorial » des espaces maritimes nécessitent des moyens considérables qui restent souvent l’apanage des puissances maritimes dominantes. Or, l’écart entre les moyens dont disposent les pays africains de l’atlantique et l’étendue de leurs espaces et ambitions maritimes reste important.
Toute exploration, exploitation et exercice de la souveraineté de l’État en mer supposant des moyens techniques, humains et financiers très élevés dont est manifestement dépourvue la majeure partie des pays de la région. C’est pourquoi le levier de l’appropriation par les pays africains riverains de l’Atlantique devrait être renforcé par celui de la mutualisation des moyens pour pouvoir ensemble constituer un acteur autonome et constructif.
Cet impératif de fédération des moyens est d’autant plus valable que l’espace atlantique africain s’étend sur plus de 14 971 km de côte avec une Zone économique exclusive (ZEE) très vaste. Un des exemples concrets de l’intérêt de cette mutualisation des moyens est la participation du navire de recherche marocain Hassan Al Marrakchi à la cartographie et à l’évaluation des stocks halieutiques et à l’étude du milieu marin dans la Zone Économique Exclusive du Libéria. 3
La mission s’est déroulée du 26 janvier au 9 février 2024 et a connu la participation de chercheurs de l’Institut National de la Recherche Halieutique et de leurs homologues libériens.
Le levier de la mutualisation ne concerne pas uniquement les dispositifs techniques et matériels mais aussi les éléments politiques et juridiques. Il en est ainsi de la participation collective des pays de la région dans les négociations multilatérales qui touchent aux questions maritimes. Il se trouve en effet qu’un représentant diplomatique d’un des pays de l’Afrique atlantique à Genève, à Londres ou à New York se trouve dans la situation inconfortable et récurrente de devoir assister et conduire des pourparlers qui vont du calibre d’ une variété d’un poisson à celle de la délimitation d’une frontière maritime. En revanche, les grandes puissances disposent dans ce cadre d’équipes élargies et diversifiées d’experts et de diplomates rompus aux questions maritimes.
Naturellement, cela réduit drastiquement la capacité des pays de la région à influencer le processus de conception et de rédaction des normes et règles qui s’appliquent pour l’avenir. Il en est ainsi à titre d’exemple des négociations dans le cadre de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) qui portent sur le secteur de la pêche, et de celles conduites dans le cadre de l’Organisation des Nations Unies pour l’ alimentation et l’agriculture (FAO) au sujet de la pêche illégale, non déclarée et non rapportée.
Par ailleurs, l’exercice conjoint des activités de surveillance pour la préservation du capital maritime atlantique africain illustre parfaitement la pertinence de l’impératif de la mutualisation des moyens dans la région. Il est, en effet, évident que les moyens des pays africains atlantiques pris individuellement auront un impact marginal tandis que la mutualisation des moyens de l’ensemble de ces pays permettra d’agrandir la marge de manœuvre et le seuil d’impact de ces derniers. au niveau multilatéral.
Le levier de l’inclusion
La démarche initiée par le Maroc en vue de l’édification d’un espace atlantique africain cohérent et prospère comporte deux initiatives complémentaires.
D’abord, le processus de l’Afrique atlantique qui ambitionne la coopération entre les pays africains riverains de l’Atlantique dans trois domaines principaux : la coopération politique et sécuritaire, l’économie bleue, la connectivité maritime et énergétique et, enfin, le développement durable et préservation de l’environnement. Une initiative qui vise la structuration de l’espace allant du Cap Spartel, au nord du Maroc, au Cap de bonne espérance, au sud de l’Afrique du Sud.
Ensuite, l’initiative de désenclavement des pays du Sahel en leur facilitant l’accès à l’océan Atlantique. Cette deuxième initiative implique la mise en place d’un maillage portuaire, mais aussi routier et ferroviaire pour connecter ces États sans littoral à l’espace atlantique africain.
Ainsi, à l’espace de mutualisation et d’intégration de l’Afrique atlantique constitué des 23 pays riverains, s’ajouterait un espace de solidarité formé par les États du Sahel, pays sans littoral. Cet esprit de solidarité à l’endroit des pays du Sahel devrait être par la suite étendue aux autres pays africains enclavés comme la Zambie et la République Centrafricaine. Rappelons ici deux constats : d’une part, l’Afrique compte le plus grand nombre de pays sans littoral dans le monde ; et d’autre part, selon les Nations Unies, les pays enclavés voient leur produit intérieur brut amputé de 20 % du simple fait de leur non-accès à la mer.
Une ministérielle de coordination sur l’initiative marocaine pour favoriser l’accès des pays du Sahel à l’océan Atlantique, s’est tenue le 23 décembre 2023 à Marrakech en présence des ministres des Affaires étrangères du Burkina Faso réunion du Mali, du Niger et du Tchad. Les participants ont salué l’approche inclusive et participative en vue de la concrétisation de cette Initiative et ont convenu de la création d’une Task force nationale, dans chaque pays, pour préparer et proposer les modalités d’opérationnalisation de cette Initiative.
Ainsi, à l’espace de mutualisation et d’intégration de l’Afrique atlantique constitué des 23 pays riverains, s’ajouterait un espace de solidarité formé par les États du Sahel, pays sans littoral. Cet esprit de solidarité à l’endroit des pays du Sahel devrait être par la suite étendue aux autres pays africains enclavés comme la Zambie et la République Centrafricaine. Rappelons ici deux constats : d’une part, l’Afrique compte le plus grand nombre de pays sans littoral dans le monde ; et d’autre part, selon les Nations Unies, les pays enclavés voient leur produit intérieur brut amputé de 20 % du simple fait de leur non-accès à la mer.
Une ministérielle de coordination sur l’initiative marocaine pour favoriser l’accès des pays du Sahel à l’océan Atlantique, s’est tenue le 23 décembre 2023 à Marrakech en présence des ministres des Affaires étrangères du Burkina Faso réunion du Mali, du Niger et du Tchad. Les participants ont salué l’approche inclusive et participative en vue de la concrétisation de cette Initiative et ont convenu de la création d’une Task force nationale, dans chaque pays, pour préparer et proposer les modalités d’opérationnalisation de cette Initiative.
Le levier de l’articulation
L’inclusion devrait rimer avec articulation dans le sens que l’initiative de l’Afrique atlantique inclut non seulement l’ambition d’intégration et de l’aménagement des pays du Sahel enclavé, mais aussi la coordination et les synergies avec les stratégies et programmes adoptés à l’échelle de l’Union africaine. Il en est ainsi de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf) et de la stratégie africaine intégrée des mers et des océans. La réalisation de projets et d’actions développés dans le cadre de l’intégration africaine atlantique mériterait d’être en cohérence avec l’architecture continentale d’intégration.
Il convient sur ce point de levier une inquiétude davantage conceptuelle qu’empirique. Le schéma d’intégration en Afrique comporte deux dynamiques distinctes mais objectivement complémentaires.
Une dynamique continentale chapeautée par l’Union africaine (UA), et une dynamique régionale drainée par les Communautés économiques régionales (CER). L’Union africaine permet, voire, d’encourager les intégrations régionales dans la mesure où celles-ci constituent une étape essentielle et un vecteur accélérateur de l’intégration continentale. L’essentiel est de veiller à une bonne synergie entre les dispositifs normatifs et institutionnels des deux cadres d’intégration, d’où l’importance du levier de l’articulation.
Le levier de l’opérationnalisation
Le bilan de l’action africaine en matière d’intégration révèle un écart considérable entre les ambitions affichées et les réalisations constatées. Ceci concerne aussi bien le segment continental piloté par l’Union africaine que le segment régional piloté par les communautés économiques régionales. Les avancées normatives et institutionnelles préservées devraient être renforcées par des réalisations concrètes sur le terrain qui bénéficieraient directement aux populations africaines. C’est pourquoi il est important que l’initiative de l’Afrique atlantique soit propulsée par un tissu de projets structurant à forte valeur ajoutée.
L’histoire du processus d’intégration européenne présente sur ce point des enseignements forts saisissants. Les pères fondateurs de l’intégration européenne ont débuté l’édifice de la construction par la concrétisation de la coopération dans deux domaines clés, à savoir le charbon et l’acier, et ce en instituant la Communauté européenne du Charbon et de l’Acier. . La coopération dans ces deux secteurs a rapidement constitué une sorte de locomotive qui a tiré la coordination et l’intégration européenne presque dans tous les secteurs.
Dans ce sens, le processus de l’Afrique atlantique mériterait d’être fondé sur la concrétisation de la coopération et de l’intégration dans un nombre limité de domaines mais avec des échéanciers et des objectifs bien établis. Un de ces projets structurants est le gazoduc Nigeria /Maroc qui ambitionne de relayer les zones de production de gaz du golfe de Guinée à l’Europe en passant par tous les pays ouest-africains riverains de l’Atlantique. Il s’agira, à terme, du plus long gazoduc du monde passant par des espaces maritimes mais aussi du plus grand projet de coopération dans le continent africain. À ce projet de Gazoduc, il est possible d’envisager un deuxième projet structurant qui pourrait d’ailleurs lui être complémentaire, à savoir celui de la sécurité alimentaire.
Le gaz est en effet un élément important pour transformer la roche phosphorique en des engrais phosphatés. Cela signifie tout simplement qu’il est raisonnable de réfléchir aux opportunités qui seraient offertes par le gazoduc pour renforcer les capacités d’une production compétitive d’engrais phosphatés.
Des engrais qui seraient à leur tour un vecteur important pour la matérialisation et la réussite des programmes de développement agricole dans la région de l’Afrique atlantique, une condition sine qua non pour la concrétisation de leur sécurité alimentaire.
Ce schéma de projets structurants, inclusifs et régionaux bénéfiques, sont aujourd’hui confortés par les récentes découvertes d’hydrocarbures aux larges de la Mauritanie et du Sénégal. Le Gazoduc Nigeria/Maroc ne ferait pas que passer par les pays ouest-africains atlantiques mais agrégerait et acheminerait tout le potentiel gazier de la région. Conséquence : l’offre globale, la compétitivité et les opportunités stratégiques induites par le Gazoduc constituaient des arguments solides pour se positionner sur le marché gazier mondial, européen notamment.
CONCLUSION
Contre vents et marées, les pays de l’Afrique atlantique tentent de construire leur autonomie stratégique. Dans cette quête, la mer pourrait constituer la figure de proue, et ce, pour deux raisons : d’abord, la maîtrise de la mer permettra aux pays de la région d’assoir leur souveraineté sur une bonne partie de leur territoire jadis ignorée, les espaces maritimes, Ensuite, l’exploitation intelligente des ressources marines pourrait constituer un vecteur de croissance et de développement inestimable.
Mais une ambition à elle seule ne peut suffire. Seule une stratégie volontariste, intégrée et régionalement constituée est à même de donner sens et substance à la projection maritime des pays africains riverains de l’Atlantique. Comme dit le proverbe africain, seul on va plus vite ; ensemble sur va plus longe. C’est dans cet esprit de l’action et du leadership collectifs que s’insère l’initiative de l’Afrique atlantique initiée par le Maroc qui vise la création des conditions nécessaires pour la construction d’une région Afrique/Atlantique stable, prospère et tournée vers la mer.
Pour aider à la concrétisation d’une telle stratégie, ce il est suggéré dans ce Policy Brief cinq leviers complémentaires : l’appropriation de l’initiative par l’ensemble des pays africains riverains de l’océan Atlantique, la mutualisation des moyens de ces pays pour mieux tirer profit de tout le potentiel de la région, l’inclusion des pays africains sans littoral, notamment ceux du Sahel, en leur facilitant l’accès à l’Atlantique, l’articulation des actions et projets de l’Afrique atlantique avec l’architecture globale de la coopération et de l’intégration pilotée par l’Union africaine et, enfin, et non des moindres, l’inscription de l’initiative dans le schéma opérationnel à travers l’adoption et l’exécution des projets structurants, objectivement réalisables, économiquement rentables et socialement durables.
Pendant longtemps, l’Afrique a tourné le dos à la mer. Celle-ci représentait dans l’imaginaire collectif africain davantage un risque qui poussait à se barricader qu’une opportunité qui incitait à l’aventure maritime. Le coût du déficit dans la conscience géo-maritime africaine est considérable. Cela va du taux de croissance économique perdu à une souveraineté maritime non entièrement consolidée. Une telle situation risque de s’aggraver dans l’avenir non lointain et ce, à mesure que la course à la mer et les rivalités des puissances sur les ressources maritimes s’accentuent.
D’où l’impératif pour le continent de construire une stratégie maritime intégrée et volontariste. Il s’agit là d’un élan de virage stratégique à ne pas évaluer si l’Afrique aspire à devenir un véritable sujet et non un simple objet dans l’arène de la compétition et de la valorisation des espaces maritimes.
En effet, la mer est en passe de devenir la nouvelle frontière de développement. Deux éléments révèlent et accélèrent la forte appréciation de la mer dont les rapports internationaux : d’une part, la raréfaction des ressources naturelles dans les terres après des siècles d’exploitation à outrance, et, d’autre part, les développements technologiques impressionnants qui permettre aujourd’huid’exploreretd’exploiterdesressourcesmarinesdansdesdomainesetdesproportions jamais égalées. Ces deux éléments sont à mettre en correspondance avec le début de la fin du monopole stratégique de l’Occident sur les mers et les océans. Une sorte de démocratisation de l’ambition à l’accès à la mer s’installe dans le paysage marin mondial. « Il existe en effet chez les puissances émergentes, ou celles souhaitant le devenir, une prise de conscience de l’importance de la mer comme facteur démultiplicateur des attributs de leur puissance ».
L’ambition de la valorisation de son capital maritime devrait à fortiori constituer une priorité africaine. Conscient de ces transformations stratégiques, le Maroc a mis en place des initiatives maritimes ambitieuses. De telles initiatives pourraient être regroupées en deux compartiments. Un compartiment national qui vise l’appropriation, la valorisation et la préservation de ses espaces maritimes. Et un compartiment régional qui aspire à capitaliser sur les avancées réalisées au niveau national pour promouvoir et à assurer une véritable coopération entre les pays africains riverains de l’océan Atlantique.
Force d’ailleurs est de remarquer le caractère complémentaire entre les deux compartiments des initiatives maritimes marocaines, qui, au demeurant, cadrent parfaitement avec le modèle de coopération Sud/Sud promu par la stratégie africaine du royaume.
Cinq leviers principaux sont susceptibles d’être actionnés : le levier de l’appropriation du projet par tous les pays africains riverains de l’Atlantique, le levier de la mutualisation des moyens et des ressources maritimes dont disposent ces payeurs, le levier de l’inclusion des pays du Sahel via leur désenclavement, le levier de l’articulation qui vise l’arrimage de l’édifice de l’Afrique atlantique avec les autres initiatives adoptées au niveau continental et, enfin, le levier de l’opérationnalisation par la transformation de l’ambition africaine atlantique en des projets structurants et concrets.
Le levier de l’appropriation
Le vouloir construire ensemble est le seul gage pour un espace atlantique africain fiable et durable. C’est pourquoi l’initiative marocaine pour la promotion de l’espace Afrique atlantique gagnerait à s’inscrire dans une dynamique d’appropriation collective dans l’ensemble des pays de la région. Cela devrait être l’affaire des États, mais aussi, et surtout de la société civile et des peuples de la région.
La mer est par nature un espace qui repose sur ce que les terres séparent. Considérés ainsi, les espaces maritimes de l’Afrique atlantique pourraient bien constituer les bases d’une identité fédératrice et anciennement le socle d’une coopération constructive dans la région. L’initiative mériterait d’être consolidée par une appropriation partagée de l’espace dans un esprit de leadership collectif.
Il est en effet primordial pour l’efficacité et la durabilité du projet atlantique africain que toutes les parties prennent conscience de l’importance de l’appropriation collective de l’espace visé. Il convient à ce propose de clarifier un point fort signifiant : bien que le support géographique facilite et solidifie toute architecture de coopération, il n’existe nullement des croisements mathématiques entre les espaces géographiques et les espaces géopolitiques. Bien des espaces géopolitiques sont détachés de tout élément géographique. Pareillement, bien d’espaces géographiques sont dépourvus de tout schéma géopolitique.
L’élément central dans l’adéquation de l’intégration est le sentiment profond chez tous les acteurs de l’appartenance à un espace fondé sur des identités conscientes et nourries par des ambitions agissantes. Il conviendrait donc de solidifier le support géographique par la volonté d’appartenance des acteurs qui passeraient par l’appropriation de l’ambition d’intégration.
Le levier de la mutualisation
Aux ambitions maritimes correspondent des moyens de réalisation adéquats. L’exploration, l’exploitation et « l’aménagement territorial » des espaces maritimes nécessitent des moyens considérables qui restent souvent l’apanage des puissances maritimes dominantes. Or, l’écart entre les moyens dont disposent les pays africains de l’atlantique et l’étendue de leurs espaces et ambitions maritimes reste important.
Toute exploration, exploitation et exercice de la souveraineté de l’État en mer supposant des moyens techniques, humains et financiers très élevés dont est manifestement dépourvue la majeure partie des pays de la région. C’est pourquoi le levier de l’appropriation par les pays africains riverains de l’Atlantique devrait être renforcé par celui de la mutualisation des moyens pour pouvoir ensemble constituer un acteur autonome et constructif.
Cet impératif de fédération des moyens est d’autant plus valable que l’espace atlantique africain s’étend sur plus de 14 971 km de côte avec une Zone économique exclusive (ZEE) très vaste. Un des exemples concrets de l’intérêt de cette mutualisation des moyens est la participation du navire de recherche marocain Hassan Al Marrakchi à la cartographie et à l’évaluation des stocks halieutiques et à l’étude du milieu marin dans la Zone Économique Exclusive du Libéria. 3
La mission s’est déroulée du 26 janvier au 9 février 2024 et a connu la participation de chercheurs de l’Institut National de la Recherche Halieutique et de leurs homologues libériens.
Le levier de la mutualisation ne concerne pas uniquement les dispositifs techniques et matériels mais aussi les éléments politiques et juridiques. Il en est ainsi de la participation collective des pays de la région dans les négociations multilatérales qui touchent aux questions maritimes. Il se trouve en effet qu’un représentant diplomatique d’un des pays de l’Afrique atlantique à Genève, à Londres ou à New York se trouve dans la situation inconfortable et récurrente de devoir assister et conduire des pourparlers qui vont du calibre d’ une variété d’un poisson à celle de la délimitation d’une frontière maritime. En revanche, les grandes puissances disposent dans ce cadre d’équipes élargies et diversifiées d’experts et de diplomates rompus aux questions maritimes.
Naturellement, cela réduit drastiquement la capacité des pays de la région à influencer le processus de conception et de rédaction des normes et règles qui s’appliquent pour l’avenir. Il en est ainsi à titre d’exemple des négociations dans le cadre de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) qui portent sur le secteur de la pêche, et de celles conduites dans le cadre de l’Organisation des Nations Unies pour l’ alimentation et l’agriculture (FAO) au sujet de la pêche illégale, non déclarée et non rapportée.
Par ailleurs, l’exercice conjoint des activités de surveillance pour la préservation du capital maritime atlantique africain illustre parfaitement la pertinence de l’impératif de la mutualisation des moyens dans la région. Il est, en effet, évident que les moyens des pays africains atlantiques pris individuellement auront un impact marginal tandis que la mutualisation des moyens de l’ensemble de ces pays permettra d’agrandir la marge de manœuvre et le seuil d’impact de ces derniers. au niveau multilatéral.
Le levier de l’inclusion
La démarche initiée par le Maroc en vue de l’édification d’un espace atlantique africain cohérent et prospère comporte deux initiatives complémentaires.
D’abord, le processus de l’Afrique atlantique qui ambitionne la coopération entre les pays africains riverains de l’Atlantique dans trois domaines principaux : la coopération politique et sécuritaire, l’économie bleue, la connectivité maritime et énergétique et, enfin, le développement durable et préservation de l’environnement. Une initiative qui vise la structuration de l’espace allant du Cap Spartel, au nord du Maroc, au Cap de bonne espérance, au sud de l’Afrique du Sud.
Ensuite, l’initiative de désenclavement des pays du Sahel en leur facilitant l’accès à l’océan Atlantique. Cette deuxième initiative implique la mise en place d’un maillage portuaire, mais aussi routier et ferroviaire pour connecter ces États sans littoral à l’espace atlantique africain.
Ainsi, à l’espace de mutualisation et d’intégration de l’Afrique atlantique constitué des 23 pays riverains, s’ajouterait un espace de solidarité formé par les États du Sahel, pays sans littoral. Cet esprit de solidarité à l’endroit des pays du Sahel devrait être par la suite étendue aux autres pays africains enclavés comme la Zambie et la République Centrafricaine. Rappelons ici deux constats : d’une part, l’Afrique compte le plus grand nombre de pays sans littoral dans le monde ; et d’autre part, selon les Nations Unies, les pays enclavés voient leur produit intérieur brut amputé de 20 % du simple fait de leur non-accès à la mer.
Une ministérielle de coordination sur l’initiative marocaine pour favoriser l’accès des pays du Sahel à l’océan Atlantique, s’est tenue le 23 décembre 2023 à Marrakech en présence des ministres des Affaires étrangères du Burkina Faso réunion du Mali, du Niger et du Tchad. Les participants ont salué l’approche inclusive et participative en vue de la concrétisation de cette Initiative et ont convenu de la création d’une Task force nationale, dans chaque pays, pour préparer et proposer les modalités d’opérationnalisation de cette Initiative.
Ainsi, à l’espace de mutualisation et d’intégration de l’Afrique atlantique constitué des 23 pays riverains, s’ajouterait un espace de solidarité formé par les États du Sahel, pays sans littoral. Cet esprit de solidarité à l’endroit des pays du Sahel devrait être par la suite étendue aux autres pays africains enclavés comme la Zambie et la République Centrafricaine. Rappelons ici deux constats : d’une part, l’Afrique compte le plus grand nombre de pays sans littoral dans le monde ; et d’autre part, selon les Nations Unies, les pays enclavés voient leur produit intérieur brut amputé de 20 % du simple fait de leur non-accès à la mer.
Une ministérielle de coordination sur l’initiative marocaine pour favoriser l’accès des pays du Sahel à l’océan Atlantique, s’est tenue le 23 décembre 2023 à Marrakech en présence des ministres des Affaires étrangères du Burkina Faso réunion du Mali, du Niger et du Tchad. Les participants ont salué l’approche inclusive et participative en vue de la concrétisation de cette Initiative et ont convenu de la création d’une Task force nationale, dans chaque pays, pour préparer et proposer les modalités d’opérationnalisation de cette Initiative.
Le levier de l’articulation
L’inclusion devrait rimer avec articulation dans le sens que l’initiative de l’Afrique atlantique inclut non seulement l’ambition d’intégration et de l’aménagement des pays du Sahel enclavé, mais aussi la coordination et les synergies avec les stratégies et programmes adoptés à l’échelle de l’Union africaine. Il en est ainsi de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf) et de la stratégie africaine intégrée des mers et des océans. La réalisation de projets et d’actions développés dans le cadre de l’intégration africaine atlantique mériterait d’être en cohérence avec l’architecture continentale d’intégration.
Il convient sur ce point de levier une inquiétude davantage conceptuelle qu’empirique. Le schéma d’intégration en Afrique comporte deux dynamiques distinctes mais objectivement complémentaires.
Une dynamique continentale chapeautée par l’Union africaine (UA), et une dynamique régionale drainée par les Communautés économiques régionales (CER). L’Union africaine permet, voire, d’encourager les intégrations régionales dans la mesure où celles-ci constituent une étape essentielle et un vecteur accélérateur de l’intégration continentale. L’essentiel est de veiller à une bonne synergie entre les dispositifs normatifs et institutionnels des deux cadres d’intégration, d’où l’importance du levier de l’articulation.
Le levier de l’opérationnalisation
Le bilan de l’action africaine en matière d’intégration révèle un écart considérable entre les ambitions affichées et les réalisations constatées. Ceci concerne aussi bien le segment continental piloté par l’Union africaine que le segment régional piloté par les communautés économiques régionales. Les avancées normatives et institutionnelles préservées devraient être renforcées par des réalisations concrètes sur le terrain qui bénéficieraient directement aux populations africaines. C’est pourquoi il est important que l’initiative de l’Afrique atlantique soit propulsée par un tissu de projets structurant à forte valeur ajoutée.
L’histoire du processus d’intégration européenne présente sur ce point des enseignements forts saisissants. Les pères fondateurs de l’intégration européenne ont débuté l’édifice de la construction par la concrétisation de la coopération dans deux domaines clés, à savoir le charbon et l’acier, et ce en instituant la Communauté européenne du Charbon et de l’Acier. . La coopération dans ces deux secteurs a rapidement constitué une sorte de locomotive qui a tiré la coordination et l’intégration européenne presque dans tous les secteurs.
Dans ce sens, le processus de l’Afrique atlantique mériterait d’être fondé sur la concrétisation de la coopération et de l’intégration dans un nombre limité de domaines mais avec des échéanciers et des objectifs bien établis. Un de ces projets structurants est le gazoduc Nigeria /Maroc qui ambitionne de relayer les zones de production de gaz du golfe de Guinée à l’Europe en passant par tous les pays ouest-africains riverains de l’Atlantique. Il s’agira, à terme, du plus long gazoduc du monde passant par des espaces maritimes mais aussi du plus grand projet de coopération dans le continent africain. À ce projet de Gazoduc, il est possible d’envisager un deuxième projet structurant qui pourrait d’ailleurs lui être complémentaire, à savoir celui de la sécurité alimentaire.
Le gaz est en effet un élément important pour transformer la roche phosphorique en des engrais phosphatés. Cela signifie tout simplement qu’il est raisonnable de réfléchir aux opportunités qui seraient offertes par le gazoduc pour renforcer les capacités d’une production compétitive d’engrais phosphatés.
Des engrais qui seraient à leur tour un vecteur important pour la matérialisation et la réussite des programmes de développement agricole dans la région de l’Afrique atlantique, une condition sine qua non pour la concrétisation de leur sécurité alimentaire.
Ce schéma de projets structurants, inclusifs et régionaux bénéfiques, sont aujourd’hui confortés par les récentes découvertes d’hydrocarbures aux larges de la Mauritanie et du Sénégal. Le Gazoduc Nigeria/Maroc ne ferait pas que passer par les pays ouest-africains atlantiques mais agrégerait et acheminerait tout le potentiel gazier de la région. Conséquence : l’offre globale, la compétitivité et les opportunités stratégiques induites par le Gazoduc constituaient des arguments solides pour se positionner sur le marché gazier mondial, européen notamment.
CONCLUSION
Contre vents et marées, les pays de l’Afrique atlantique tentent de construire leur autonomie stratégique. Dans cette quête, la mer pourrait constituer la figure de proue, et ce, pour deux raisons : d’abord, la maîtrise de la mer permettra aux pays de la région d’assoir leur souveraineté sur une bonne partie de leur territoire jadis ignorée, les espaces maritimes, Ensuite, l’exploitation intelligente des ressources marines pourrait constituer un vecteur de croissance et de développement inestimable.
Mais une ambition à elle seule ne peut suffire. Seule une stratégie volontariste, intégrée et régionalement constituée est à même de donner sens et substance à la projection maritime des pays africains riverains de l’Atlantique. Comme dit le proverbe africain, seul on va plus vite ; ensemble sur va plus longe. C’est dans cet esprit de l’action et du leadership collectifs que s’insère l’initiative de l’Afrique atlantique initiée par le Maroc qui vise la création des conditions nécessaires pour la construction d’une région Afrique/Atlantique stable, prospère et tournée vers la mer.
Pour aider à la concrétisation d’une telle stratégie, ce il est suggéré dans ce Policy Brief cinq leviers complémentaires : l’appropriation de l’initiative par l’ensemble des pays africains riverains de l’océan Atlantique, la mutualisation des moyens de ces pays pour mieux tirer profit de tout le potentiel de la région, l’inclusion des pays africains sans littoral, notamment ceux du Sahel, en leur facilitant l’accès à l’Atlantique, l’articulation des actions et projets de l’Afrique atlantique avec l’architecture globale de la coopération et de l’intégration pilotée par l’Union africaine et, enfin, et non des moindres, l’inscription de l’initiative dans le schéma opérationnel à travers l’adoption et l’exécution des projets structurants, objectivement réalisables, économiquement rentables et socialement durables.