INTRODUCTION
L’importance du patrimoine foncier au Maroc nécessite un apurement intégral de l’ensemble de ses biens. L’immatriculation foncière appliquée au Maroc souffre de maux qui en empêchent l’assainissement et la purge d’une manière rapide, régulière et efficace. L’Etat et les collectivités ethniques pour fixer leurs biens ont recours très tôt à un régime d’apurement ayant des caractéristiques d’ordre public.
Il est nécessaire de protéger les biens privé de l’Etat et des collectivités ethniques, c’est sous entendre que certains dangers sont à craindre. Ces dangers sont : les aliénations imprudentes ou intempestives, les risques des empiétements matériels et les usurpations de propriété. Et pour atteindre ce résultat, il est nécessaire de procéder soit la procédure de l’immatriculation foncière soit la procédure spéciale de la délimitation administrative.
La délimitation administrative est régie par les dispositions des dahirs du 3 janvier 1916 portant règlement spécial sur la délimitation du domaine de l’Etat et du 18 février 1924 portant règlement spécial pour la délimitation des terres collectives , il s’agit d’une procédure de caractères inégalitaires, qui s’opère par voie réglementaire . Elle met en présence certains intérêts et offre des facilités d’application par rapport à la procédure de l’immatriculation. Cette dernière contrairement à la délimitation conduit à la séparation ponctuelle et partielle de faible portée et par conséquent de moindre importance.
La délimitation administrative est une procédure de droit public. Elle intervient par le biais d’actes administratifs unilatéraux, et demeure recognitive et non attributive de la propriété de l’Etat et des collectivités ethniques.
Ceci étant et compte tenu des considérations évoquées, il s’avère nécessaire de délimiter cette étude, car le but est de faire apparaître les caractères juridiques de la procédure de la délimitation administrative à travers ses différentes phases.
I. LA PROCÉDURE ADMINISTRATIVE PRÉPARATOIRE
La délimitation administrative est régie par les dahirs du 3 janvier 1916 portant règlement spécial sur la délimitation du domaine de l’Etat et du dahir du 18 février 1924 portant règlement spécial pour la délimitation des terres collectives, fondés sur une approche de présomption sur les biens privés de l’Etat et des terres collectives.
Ces textes confèrent à l’administration des privilèges exorbitants de droit commun pour déterminer d’abord les biens immobiliers de l’Etat et des collectivités, ensuite l’obligation de reconnaître et de fixer d’une manière unilatérale les limites des biens. Enfin, le pouvoir d’appréciation permettant de modifier les limites au profit des particuliers suffisamment fondés sur une preuve de propriété légale .
1) L’IDENTIFICATION DE LA PRESOMPTION
Un procédé juridique de reconnaissance des biens domaniaux ou collectifs a été prévu par les dahirs du 3 janvier 1916 et 18 février 1924. Ces deux textes prévoient que les immeubles pour lesquels il existe une présomption de domanialité ou du collective pourront être inclus dans le domaine privé de l’Etat ou des terres collectives, et faire « l’objet de délimitation ayant pour but d’en fixer la consistance matérielle et l’état juridique ».
Le législateur marocain a entendu uniquement donner à l’administration et les collectivités ethniques un moyen de protéger leurs biens contre les occupations sans preuve ni titre.
La présomption domaniale au Maroc provient des règles coutumières et des principes de la loi musulmane consacrés par le dahir du 7 juillet 1914 , aujourd’hui remplacé par celui du 7 février 1944, portant règlement de la justice civile et la transmission de la propriété immobilière.
La présomption domaniale ou collectifs a un but légal en ce sens qu’elle est un attribut direct de la propriété administrative. Elle permet de considérer comme certain l’appartenance d’un bien au domaine privé de l’Etat ou des collectivités ethniques.
En effet, la version arabe des dahirs précités, explique la présomption des biens domaniaux ou collectifs, en utilisant des termes signifiant seulement l’hésitation, l’incertitude et la perplexité de la propriété .
La présomption de la propriété présentée par les dahirs du 1916 et 1924 n’existe que pour mieux protéger le droit de propriété de l’Etat et des terres collectives, disposer des biens domaniaux et mettre la main sur les terres collectives .
Elle s’appuie dans son application sur les signes extérieurs physiques, c’est à dire sur l’existence de la vocation collective, ou tous indices traduisant sans difficulté que le terrain fait partie des dépendances du domaine de l’Etat ou des terres collectives.
Au regard de la preuve du droit de la propriété, les signes extérieurs ont une valeur particulière parce qu’ils fondent la réalité de la propriété, aussi constituent-ils une présomption irréfragable de propriété .
Après la constatation des immeubles domaniaux et collectifs, par une présomption légale justifiant l’incorporation et l’intégration des biens au profit de l’Etat ou des collectivistes, les administrations concernées soit des domaines soit de la direction des eaux et forêts ou le ministère de l’intérieur tuteur des terres collectives, déclenchent une fixation provisoire des limites. Ce procédé a un caractère interne c'est-à-dire effectué au sein de l’administration.
Ce projet de délimitation est une occasion pour débattre les problèmes qui peuvent être soulevés ainsi que leurs solutions. En effet, une stratégie qui doit être établi afin de réussir l’opération.
2) LA DELIMITATION PRELIMINAIRE
La protection du domaine privé de l’Etat et des terres collectives est assurée en principe par des dispositions du droit commun. Cependant, les mesures provisoires consistant à la reconnaissance et à la détermination des limites constituent un acte administratif interne purement technique.
La délimitation administrative des biens de l’Etat et terres collectives est une opération nécessaire puisqu’il faut établir définitivement les limites de la propriété Etatique et collective par rapport aux propriétés privées.
Mais précisément parce qu’il s’agit du domaine de l’Etat ou des terres collectives, l’administration ou la tutelle des terres collectives dispose de privilège d’action d’office. Autrement dit, elle a la possibilité d’opérer unilatéralement la délimitation et le déroulement des opérations.
La nature administrative du décret d’homologation approuvé par le Premier Ministre ainsi que les décisions et les intervenants administratifs, sont de nature à donner à la délimitation le caractère purement administratif. En effet, la délimitation administrative présente des dispositions dérogatoires au droit commun de la propriété . Il s’agit d’une opération de nature administrative dans laquelle le consentement des riverains n’est pas sollicité. Elle peut être obtenue d’office et sur simple réquisition lorsqu’aucune opposition n’est formulé à son encontre .
Le domaine privé de l’Etat et les terres collectives sont traités comme une propriété privée. En matière de litiges portant sur les limites, les contestations à défaut de solutions amiables sont du ressort non pas du juge administratif mais du juge civil.
Lorsque l’administration intéressée juge opportun de faire une délimitation administrative, elle procède à la préparation d’un programme d’apurement juridique de ses biens . Ce programme a pour objet de résoudre les problèmes soulevés précédemment, ainsi la diligence d’exécution pour surmonter l’accumulation des dossiers en souffrance, et atteindre l’objectif fixé à un pourcentage des biens en instance d’assainissement juridique définitive déterminé par le programme d’action.
En prévision d’une délimitation administrative, la Direction des Domaines de l’Etat, le Haut Commissariat des Eaux et Forêts et la Lutte Contre la Désertification ou la Direction des Affaires Rurales pour la délimitation des terres collectives, procèdent à une reconnaissance préalable des lieux ou à une enquête préliminaire pour s’informer notamment de la situation du terrain, sa nature, son occupation, sa consistance et sa contenance approximative.
Il suffit de l’existence d’une simple présomption de domanialité ou d’appartenance à une tribu pour engager la procédure de délimitation, d’abord de manière tout a fait officieuse, sans consultation, ni publicité .
La reconnaissance provisoire est réalisée par les représentants de l’autorité concernée qui se basent sur tout élément indicateur ou faisceau de preuve qui les conforte dans leur présomption (croquis, rapport, titre khalifien,
notoriété publique…). Ces représentants négligent souvent des faits différents liés au terrain, qui peuvent créer une situation de blocage parfois inextricable et donne lieu à une délimitation administrative inachevée qui trainera longtemps devant les tribunaux .
L’autorité concernée s’est rendue compte des problèmes que pose la délimitation s’étendant sur de vastes surfaces. Ces problèmes sont parfois insolubles et gênent pour longtemps la réalisation de la délimitation, en raison du caractère précaire et défaillant de la publicité en milieu rural, de la lenteur dans l’apurement de la procédure et de la remise en cause du bornage réalisé mais non encore homologué .
En vue de résoudre ces problèmes, le programme d’action de délimitation administrative peut aussi fixer des réalisations prévisionnelles qui doivent être établies à l’appui des rapports, des tableaux, des statistiques, des diagrammes, des plans de situation. Ce programme détermine aussi les obstacles éventuels : naturelles, techniques, sociales, juridiques et politiques, qui doivent être pris en compte.
Les opérations préliminaires de la délimitation ne portent en rien atteinte au droit de la propriété particulière. C’est une opération à caractère technique consiste à déterminer les biens domaniaux ou les terres présumés collectives et à entreprendre leur délimitation provisoire. La réussite de l’opération dépend de la qualité de contribution des autorités locales.
Pour mieux garantir la sincérité à l’apurement juridique de la superficie a délimité, sachant bien qu’elle peut soulever un nombre important des contestations. La tutelle des collectivités veille à faire appel au régime de délimitation administrative des terres collectives toutes les fois qu’il s’agit de terrains dont les superficies dépassent les 500 hectares. Mais les terres dont la superficie est inferieure à ce seuil sont soumises au régime de l’immatriculation foncière .
En effet, les forêts domaniales et les terrains couverts d’alfa s’étendant sur de grandes surfaces font l’objet généralement de la délimitation administrative. Mais les dépendances du domaine forestier de faible superficie telles que les dunes et les terrains de reboisement sont délimités dans la plupart des cas, selon la procédure de l’immatriculation foncière .
Le choix de l’immeuble à délimiter doit être fait dans les normes du respect des riverains et de la nature de chaque bien contigüe au bien domanial ou collectif, puisque le but de la délimitation administrative, notamment la phase préliminaire, est de connaître les limites des immeubles et la recherche de l’identité des propriétaires présumés.
Néanmoins, un problème peut être soulevé c’est que la tendance de l’administration, muée d’une simple présomption, à opter pour une reconnaissance préalable extensive, empiétant sur les biens des particuliers et dont la délimitation officielle épousera les limites, ne laissant aux intéressés d’autres recours que de se soumettre ou de s’adresser aux tribunaux à condition qu’ils puissent le faire dans les délais et les formes impartis, et qu’ils disposent de document irréfutables attestant leurs droits .
La délimitation est la détermination des limites des biens de l’Etat et des terres collectives, alors que le bornage provisoire consiste à rapporter matériellement ces limites sur le terrain. L’opération de reconnaissance provisoire ne constitue pas un moyen de publicité mais seulement un examen effectué sur le terrain objet de la délimitation.
La reconnaissance provisoire est une opération déterminante pour le succès de la délimitation. C’est un procédé d’une nature complexe : opération topographique, acte de publicité officieuse et enquête juridique, et une action en ce qu’elle vise à obtenir la contribution des riverains.
Dans la plupart des zones à délimiter, les conditions de travail sont difficiles car souvent le terrain est irrégulier et accidenté, et comprend de nombreuses enclaves pour lesquelles les riverains peuvent produire des titres de propriété. Ceci complique davantage l’alignement des limites et nécessite de nombreux changements de direction et un grand nombre de bornes. Si le terrain est trop accidenté (montagneux), il est nécessaire d’implanter des bornes suffisantes de façon à permettre facilement leur repérage. Les bornes reçoivent un numéro provisoire éventuellement reportés soit sur une pierre fixe soit sur un arbre témoin ou par Cimetière, Marabout, oueds…
Si en apparence l’opération parait très simple, en réalité sur le terrain, elle reste difficile à réaliser du fait du comportement négatif des populations riveraines.
Dans le but de préparer les conditions d’exécution de la reconnaissance provisoire, les agents de l’administration concernée à entrer en contact direct avec les autorités locales et élus locaux du lieu ou se trouve le bien objet de délimitation et ce afin de les sensibiliser aux objectifs de l’opération, de solliciter leur franche collaboration et leur appui direct. enfin de recueillir les renseignements sur les éventuels opposants, de poser les divers problèmes qui peuvent surgir et trouver les solutions immédiates qui arrangent les deux parties.
De même une campagne de sensibilisation de la population serait souhaitable afin de mettre au courant les gens du caractère non officiel ni définitif du bornage, de relater les avantages de l’opération, enfin de sonder les diverses réactions exprimées.
L’enquête préliminaire effectuée au cours de la délimitation provisoire aboutit à l’établissement d’un croquis sommaire. Elle est matérialisée par la pose des bornes provisoires ce qui prédispose défavorablement les riverains.
Par suite de l’arrivé sur les lieux des autorités concernées, avec la fixation des bornes provisoires, qui est une simple prospection faite de manière unilatérale va servir de référence à la délimitation administrative réelle.
II. LA PROCEDURE DE FIXATION DES LIMITES
L’initiative de la délimitation est de la compétence de l’administration ou la collectivité ethnique. Elle se manifeste au début par le dépôt d’une réquisition auprès du Premier Ministre. L’opportunité de l’opération est décidée lorsque les conditions surtout matérielles et sociales s’y prêtent. Les particuliers ne peuvent engager la procédure eux-mêmes, ni soulever le projet de la délimitation administrative.
1) LA FIXATION DÉFINITIVE DES LIMITES
Aussitôt la période de la reconnaissance achevée, les autorités compétentes tels que la Direction des Domaines de l’Etat, le Haut Commissariat des Eaux et Forêts et la Lutte Contre la Désertification ou la Direction des Affaires Rurales, procèdent à la préparation de la demande de délimitation et du projet de décret autorisant le commencement des opérations de la délimitation administrative.
Dans la requête de délimitation, les administrations doivent préciser le bien qu’elles entendent soumettre à la délimitation, le nom sous lequel il est connu, son emplacement, ses limites, les riverains, les enclaves et les charges ou les droits réels qui paraissent le grever. Après avoir déterminé la date du commencement de l’opération de délimitation et du bornage, la requête est traduite sous la forme d’une réquisition de délimitation administrative à Monsieur le secrétaire général du gouvernement, puis signé sous la forme d’un décret par le Premier Ministre. Par la suite, un extrait de la réquisition et le décret autorisant le commencement des opérations seront publiés au bulletin officiel, un mois avant la date fixée pour le commencement de l’opération de délimitation.
Entre le décret autorisant l’opération de délimitation et l’homologation, le législateur a prévu des mesures conservatoires par la voie de suspension provisoire de toute nouvelle immatriculation, ou de transactions immobilières particulières dans les périmètres soumis à la délimitation.
A partir de la date de publication du décret autorisant le commencement de la procédure, les actes d’aliénation ou de jouissance à titre onéreux ou gratuit même entre les parties concernées, sont interdits dans le périmètre soumis à la délimitation administrative à peine de nullité. Sauf autorisation écrite de l’administration concernée pour les biens du domaine de l’Etat et dans les conditions imposées par le dahir du 27 avril 1919 pour les terres collectives.
Une propriété domaniale ou collective soumise à la délimitation ne peut être aliéné en propriété ou en jouissance, au cours de cette procédure par les prétendants droits sans un certificat de non-opposition de l’administration intéressée . L’administration des domaines ou des eaux et forêts qui a fait opposition à une réquisition d’immatriculation d’un immeuble acquis, sans que ce certificat de non-opposition ait été demandé ou obtenu, a manifesté ainsi, dés qu’elle a eu connaissance de la vente, son intention d’en contester la validité et de se prévaloir de la nullité prévue par l’article 3 du dahir du 3 janvier 1916. L’opposition de l’administration est déclarée fondée .
La nullité des transactions est relative, et elle ne peut être invoquée que par l’administration en faveur de laquelle elle a été établie .
Le vendeur ne peut donc l’opposer à son acheteur, s’il est établi par ailleurs que l’administration, loin de s’opposer à la vente, l’a approuvée.
La seconde sujétion de l’article 3 du dahir du 1916 prévoit que « pendant le même délai, aucune demande d’immatriculation ne peut être introduite ». Cette formalité a un caractère `` simplement probatoire et non solennelle``. Par conséquent elle ne peut être appliquée qu’aux requérant d’immatriculation postérieure à la délimitation. Les particuliers ayant déposé une réquisition d’immatriculation avant la délimitation administrative sont recevable à immatriculer leurs propriétés .
Par des restrictions d’ordre public, il est interdit au conservateur de la propriété foncière d’accepter toute réquisition d’immatriculation postérieure à la publication du décret de délimitation. Pour ces raisons, le législateur a modifié de façon substantielle l’article 4 du dahir du 3 janvier 1916, en vertu du dahir du 17 Août 1949, et le même article du dahir 18 février 1924, en vertu du dahir 19 octobre 1937 , en s’appuyant sur la nécessité de publier le décret ordonnant le commencement de la délimitation administrative, afin que tous les intéressés puissent savoir la date et le lieu de l’opération de délimitation administrative .
Cependant, une problématique peut être envisagée concernant la réquisition qui était déposée antérieurement à la délimitation , deux cas peuvent être soulevés :
Le premier c’est qu’une réquisition d’immatriculation et le bornage qui l’a suivi sont antérieurs à la délimitation. Dans cette situation, la réquisition échappe aux règles de procédures posées par les dahirs du 3 janvier 1916 et du dahir de 18 février 1924, c’est ce que décidait le jugement rendu par le tribunal de première instance de Casablanca .
Le deuxième c’est qu’une réquisition d’immatriculation déposée antérieurement à une délimitation administrative, mais bornée après l’expiration des délais d’opposition. La solution jurisprudentielle n’a donnée aucune importance à cette réquisition et elle a jugé que ne pourrait être une opposition d’office à cette délimitation .
Le dahir du 18 février 1924 portant règlement spécial pour la délimitation des terres collectives n’a pas prescrit formellement dans ses articles l’interdiction d’introduire des réquisitions d’immatriculation postérieures à la procédure de délimitation. Néanmoins, cette restriction est comprise d’une façon implicite d’après les dispositions de l’article 3 al. 3 du dahir de 3 janvier 1916 portant règlement spécial sur la délimitation du domaine de l’Etat, ainsi que sur le principe lui-même de la délimitation administrative, de fixer l’assiette de l’Etat sur des conditions qui permettent de protéger l’intégrité des biens collectifs ou du domaine de l’Etat par le gel provisoire des réquisitions d’immatriculation.
Les mesures prévues par les dahirs du 1916 et 1924 visent d’une part à préserver les intérêts des ayant droit à travers une ample publicité, d’autre part à protéger l’intégrité du domaine privé de l’Etat et des terres collectives par le gel provisoire des transactions immobilières et de nouvelles immatriculations.
Ce double intérêt porté simultanément à la propriété particulière et au domaine privé de l’Etat et des terres collectives doit guider la commission de la délimitation à déterminer les limites précises sans pour autant soulever des contestations inutiles.
2) LE PROCESSUS DE LA DELIMITATION DEFINITIVE
Le bornage définitif de l’immeuble à délimiter se fait par l’intervention des différentes administrations concernées par la procédure de délimitation, représentées par des organes publics qui constituent entre eux une commission administrative et technique pour prendre la direction de l’affaire.
A l’heure et à la date fixée par la requête de délimitation et par le décret de délimitation, une commission se tient sur place. Cette commission est composée du caïd en sa qualité de président, d’un représentant de l’autorité de contrôle, d’un agent supérieur des eaux et forêts, pour les massifs forestiers, ou d’un contrôleur des domaines, pour les autres immeubles domaniaux, du chef de la division des affaires rurales représentant le gouverneur de la province dont relève l’immeuble pour les terres collectives, des représentants des djemââs intéressées, d’un géomètre topographe agréé , et s’il y a lieu, d’un représentant de la direction des travaux publics, d’un interprète et de deux Adouls . Le recours à ces deux derniers organes est pour traduire et notifier les actes justifiant les prétentions des occupants et des riverains de l’immeuble objet de délimitation. Ils sont aussi chargés de consigner régulièrement les transactions pouvant intervenir au cours des opérations. Leur présence est tombée en désuétude et n’est plus nécessaire.
La présence de l’autorité locale sur le terrain est nécessaire en ce sens que la délimitation peut être l’occasion propice de susciter des litiges insolubles, ce qui serait à l’origine de surprise et d’événement imprévisible pour les membres de la commission.
La commission de délimitation ne comprend ni le conservateur de la propriété foncière (ou son représentant) malgré son rôle absolument indispensable pour la démarche de la procédure , ni les représentants de la population concernée notamment pour la délimitation du domaine de L’Etat ou le domaine forestier. Leur participation est permis de trouver un terrain d’entente et régler sur place à l’amiable les différends soulevés, afin de ne pas bloquer interminablement la procédure.
Le défaut du commencement de la procédure de délimitation à la date fixée impliquerait la nullité de l’opération par vice de procédure .
Cependant, la commission après s’être obligatoirement réunie à l’endroit fixé par le décret peut, si elle le juge à propos, choisir tel autre point de départ. Elle est seulement tenue d’en informer immédiatement toutes les personnes présentes et de consigner sa décision au procès-verbal .
Dans le cas où, pour une raison quelconque, les opérations ne pourraient être commencées, comme dans celui où des circonstances particulières ne permettraient pas de les achever, la commission fixe en séance tenante la date à laquelle les opérations de délimitation seront reprises, et en informe les personnes présentes .
Pour la délimitation des terres collectives, en principe la collectivité propriétaire doit être représentée par douze notables. Si l’immeuble à délimiter appartient dans l’indivision à plusieurs sous-fractions, le délégué du tuteur s’assurera qu’elles sont bien toutes représentées .
la commission est chargée de recevoir et de consigner les oppositions pour ceux qui contestent les limites ou prétendent, sur les surfaces objet de délimitation, des droits réels ou personnels, lorsque les solutions envisagées par la commission n’ont pas donné satisfaction.
Pour cette raison, une disposition prévue par l’article 5 des dahir de 1916 et du dahir de 1924, selon laquelle une exigence faite que toutes les mesures soient prises pour donner au terrain à délimiter une large publicité à l’arrivée de la commission et au commencement des travaux de reconnaissance des limites, pour permettre à tous les intéressés de faire des oppositions entre les mains de la commission. Faute de quoi, les opérations régulièrement effectuées en l’absence des riverains ou des naïbs de collectivité ne vicient pas l’accomplissement de la délimitation et ne rendent pas celle-ci inopposable.
L’absence des riverains au moment du déroulement des opérations de délimitation ne constitue pas un cas d’irrégularité de l’acte d’homologation, dont la validation découle même de l’absence d’oppositions .
Tout en s’appuyant sur les indications fournies par le croquis et le dossier préliminaires, la commission suit les limites qui lui sont indiquées sur le terrain par les intéressés lorsque ceux-ci sont d’accord à leur sujet. Le bornage est réalisé au fur et à mesure de l’avancement de la reconnaissance des limites. Les agents de l’administration indiquent les bornes qui fond l’objet de désaccord avec les riverains. La commission progressivement de son emplacement sanctionne le bornage là ou il n’y pas d’opposition .
Lorsqu’il s’agit de la délimitation avec opposition normales, les bornes définitives sont placées avec accord des membres de la commission et des riverains. Les agents de l’administration concernée procèdent aussi vite à l’implantation des bornes en ciment. De part et d’autre de la borne, sont creusés deux fossés de direction assez profonds indiquant le sens des limites. Enfin, les bornes sont numérotées avec toutes les indications possibles pour bien les localiser .
Le bornage définitif est suivi immédiatement par le levé du plan. Il importe de remarquer à ce sujet que le plan de bornage est effectué par la commission pour servir de base à l’établissement par le géomètre du plan régulier et définitive du bien délimité. Le plan établi, sera remis au conservateur pour être annexé ultérieurement au titre foncier.
Durant les opérations de bornage, le représentant du domaine de l’Etat, les agents des eaux et forêts ou le délégué du tuteur note au procès-verbal l’implantation de chaque borne précisant, le cas échéant, sa situation par rapport à un point connu.
Lorsque les limites se confondent avec celles d’un immeuble riverain ayant déjà fait l’objet d’un bornage antérieur, on utilisera les bornes de cet immeuble.
Dans le cas où la limite du bien domanial ou collectif ne se raccorde pas directement sur une borne préexistante, la commission fait implanter une borne collective entre l’alignement de deux bornes de la propriété riveraine.
Les limites naturelles, sont constituées par les fleuves, les oueds, les routes, les voies ferrées, les pistes classées, les séguias bien marquées, etc.
Elles sont matérialisées sur le terrain par l’implantation d’une borne à l’endroit où elles touchent l’immeuble à délimiter et, par une autre, à l’endroit où elles le quittent.
Pour des nécessités topographiques, il peut y avoir intérêt quelquefois à préciser le développement de ces limites par l’implantation de quelques bornes supplémentaires de contrôle, par exemple aux confluents d’oueds ou à l’intersection de certaines pistes.
Les fleuves, les oueds permanents, les routes et les voies ferrées qui traversent un immeuble domanial, forestier ou collectif, les divisent en parcelles distinctes qui sont bornées séparément.
Le procès-verbal de délimitation doit mentionner le nom des riverains qui peuvent être, soit des particuliers, soit le domaine public ou privé de l’Etat, soit le domaine forestier ou terre collective. Une borne est implantée à chaque changement de riverain.
Les pistes secondaires, se déplaçant trop fréquemment, ne sont, en général, pas matérialisées par l’implantation de bornes, mais simplement signalées à titre de renseignement.
Les enclaves de toute nature (Habous, domaine privé, domaine forestier, terres collectives) dont le caractère a été nettement établi ou qui font l’objet d’une revendication, sont bornées au cours des opérations.
A la clôture de cette opération, le procès-verbal et le croquis du bornage doivent être établis en quatre exemplaires et soumis à la signature des membres de la commission. Une copie du procès-verbal et du croquis du bornage est envoyée à la Caïada, à la conservation foncière et au service du cadastre concerné, contre un accusé de réception.
Après avoir reçu l’ensemble de ces accusés de réception, il est procédé à la deuxième insertion de l’avis du dépôt du dossier de délimitation au Bulletin-Officiel, et à la publication de l’avis de la publicité dans toutes les administrations et les services locaux intéressés, par voie de criée aux endroits les plus propices, ainsi que dans les journaux quotidiens contre des accusés de réception de cet affichage.
Il est important que les intéressés connaissent l’existence de ces documents et puissent les consulter à la conservation foncière, à l’autorité locale ou caïdat, à la subdivision des eaux et forêts, à l’administration locale des domaines, pour pouvoir formuler leurs observations sur le procès-verbal de délimitation, ainsi que, et le plus intéressant, de consulter le croquis des terrains objet de délimitation et de savoir si les bornes touchent leurs propres biens.
L’opposition est une contestation contre le procès-verbal de délimitation et de bornage élevée par un particulier, qui prétend que son droit est menacé par la procédure de délimitation.
A compter de la date fixée dans l’avis publié pour le dépôt du dossier de délimitation, un délai des oppositions à la délimitation est ouvert pour toutes revendications sur les limites ou sur les droits ou les charges prétendues sur les surfaces délimitées. Ce délai est de trois mois pour les biens domaniaux et de six mois pour les terres collectives.
En effet, les délais préfixés impartis par les articles 5 et 6 du dahir du 3 janvier 1916 et du dahir du 18 février 1924, pour faire opposition, sont des délais très courts qui peuvent aussi empêcher les personnes insuffisamment informées ou par ignorance de présenter leurs oppositions.
Les opposants qui n’ont pas déposé leurs oppositions entre les mains de la commission ont la possibilité de les reformuler dans un délai de trois mois pour les biens domaniaux et dans un délai de six pour les terres collectives, afin de se faire connaitre au représentant local de l’autorité administrative, par une déclaration écrite indiquant l’objet et les moyens de l’opposition. Si la déclaration est verbale, l’autorité qui la reçoit doit obligatoirement dresser un procès-verbal. Cette déclaration est signée par l’opposant ou mention est faite qu’il ne peut pas signer.
Immédiatement après l'expiration de ces délais d’oppositions, aucune revendication, ni droit ne peut être présenté sous forme d’opposition, et aucun délai supplémentaire ne peut être accordé car les délais impartis par l’article 5 des dahirs du 3 janvier 1916 et du 18 février 1924 pour faire opposition à une délimitation administrative domaniale ou des terres collectives sont des délais préfixés et non des délais francs. La jurisprudence, par maintes décisions, se montre intransigeante par le principe des délais employés dans la procédure de délimitation administrative .
Le dépôt de la réquisition d’immatriculation, doit contenir l’énonciation des droits, titres et pièces par lesquels la demande est justifiée. Le requérant doit aussi produire un certificat délivré par l’autorité locale, attestant que l’opposition a été bien formulée dans les délais impartie.
Cette formalité décisive est rarement remplie, par simple ignorance des opposants ou par le fardeau de la charge financière générée par les frais de la réquisition d’immatriculation. Conformément aux dispositions de l’article 6 al.2 « la réquisition d’immatriculation est déposée au nom et aux frais de l’opposant ».
A défaut de dépôt d’une réquisition confirmative d’opposition, dans le délai prescrit, toutes les démarches antérieures faites par l’opposant pour prouver son droit seront annulées et resteront sans effet, sans aucune possibilité de recours. Leur opposition inscrite sur le procès-verbal de délimitation reste infructueuse, sauf dans une seule situation « des droits qu’a pu, dans ce délai, lui reconnaître l’administration ou le conseil de tutelle des collectivités, par exemple par un avenant au procès-verbal de la commission constatant une modification à la délimitation primitive » .
Les textes sont muets quant à la nature de cette réquisition confirmative d’opposition et à la procédure qu’elle devra suivre, ce qui a susciter des difficultés d’interprétation et des divergences dans l’application des dispositions en vigueur par les conservateurs de la propriété foncière .
A ce stade, et une fois le délai pour confirmer l’opposition par une réquisition d’immatriculation est éteint, on se trouve devant deux situations : le premier cas où il révèle l’existence des réquisitions d’immatriculation confirmative des oppositions ou antérieures de la procédure de délimitation, dans ce cas et à défaut d’un règlement à l’amiable entre l’administration requérante et les opposants, le conservateur renvoit les dossiers au tribunal compétent pour trancher les litiges. Dans le second cas où il n'y a pas de réquisitions d’immatriculation, l’administration concernée ou la tutelle des terres collectives demande au conservateur de la propriété foncière la délivrance d’un certificat de non opposition.
Enfin, après avoir obtenu ce certificat de non opposition et après la réalisation du plan topographique définitif de l’immeuble, la direction des domaines, les eaux et forêts ou la tutelle des terres collectives préparent un projet de décret d’homologation qui approuve de façon définitive la délimitation administrative.
Aux termes de l’article 8 des dahirs du 1916 et du 1924, l’homologation de la délimitation administrative est prononcée par décret publié au Bulletin-officiel qui « fixe d’une manière irrévocable la consistance matérielle et l’état juridique de l’immeuble délimité ». Ce décret confère un effet légal à la procédure de la délimitation, et reconnaît définitivement le droit de propriété au profit de l’Etat et des collectivités ethniques .
Cependant, le décret d’homologation reste une simple formalité officielle déclarative pour établir et renforcer l’effet purgatif et inattaquable de la délimitation administrative, en raison que cette conséquence a été déjà concrétisée par l’article 5 des dahirs de 1916 et 1924 dans la phase terminale du dépôt des oppositions « trois mois après l’insertion au Bulletin Officiel de la date du dépôt du procès-verbal, aucune opposition ni revendication n’est plus admise, et les opérations de délimitation deviennent définitives » .
En revanche, le caractère formel rendant la délimitation administrative définitive découle de son homologation par un acte administratif qui ne peut être ratifié que par l’accomplissement et l’effectivité de la procédure de délimitation .
A l’expiration du délai imparti pour le dépôt des réquisitions, un dossier d’homologation doit être rempli. Ce dossier comprend les documents suivants :
1. Le projet de décret d’homologation de la délimitation ;
2. Une note de présentation sur l’immeuble délimité, donne un aperçu sur le processus de la procédure de délimitation et dans quelle mesure les délais fixés par la législation ont été appliqué;
3. Le procès-verbal de délimitation et le plan définitif du bornage ;
4. Les accusés des réceptions et les certificats attestant la réalisation des publicités et affichages ;
5. Le procès-verbal et les formulaires des oppositions inscrites devant les autorités locales ;
6. Un certificat de dépôt délivré par le conservateur de la propriété foncière.
La délivrance du certificat de dépôt, est l’essence de la promulgation du décret de délimitation. En raison de son importance, le législateur a alloué tout un article pour mieux savoir les prescriptions et les conditions tenues par le présent certificat.
En effet, ledit certificat doit reproduire exactement, la situation exacte de la parcelle comprise dans le périmètre objet de délimitation. L’absence de toute immatriculation antérieure intervenue dans le périmètre délimité, ainsi que l’absence de toute réquisition d’immatriculation confirmative d’opposition reçue dans les conditions et les délais prescrits. Si le certificat reconnaît l’existence d’immatriculation antérieure dans le périmètre délimité, la superficie immatriculée doit être soustraite de la délimitation. Les croquis et les plans seront modifiés en conséquence .
En fait, l’administration se trouve devant deux situations, soit qu’elle décide l’homologation malgré l’existence du contentieux des réquisitions antérieures bornées ou des réquisitions confirmatives d’oppositions, auquel cas l’homologation peut être demandée pour la partie non litigieuse, si la superficie revendiquée est secondaire par rapport à la totalité de l’espace délimité. Soit elle diffère l’homologation jusqu'au règlement définitif du litige par les tribunaux, cela peut durer plusieurs années.
Le conservateur est, en outre, personnellement responsable, aux termes de l’article 97 du dahir de 13 Aout 1913 sur l’immatriculation des immeubles , du préjudice résultant d’omission, d’irrégularités commises dans le contenu de certificat délivré par le conservateur. Cet acte rend le conservateur passible de poursuite judicaire pour dommage-intérêt conformément à l’article 80 du D.O.C.
En soumettant le projet de décret d’homologation pour signature par délégation du Premier Ministre , le directeur des domaines de l’Etat, le Ministre délégué auprès du Ministre de l’Agriculture, chargé des eaux et forêts ou le Ministre de l’intérieur pour les terres collectives. Ensuite le projet de décret est transmis à Monsieur le Secrétaire Général du gouvernement pour signature par le Premier Ministre. Puis, un extrait du décret d’homologation de la délimitation est publié au bulletin officiel.
Le nombre des délimitations administratives non homologuées en contentieux reste le plus dominant par rapport aux délimitations administratives homologuées, annulées ou renvoyées sine die. Depuis 1924 date de la promulgation du dahir portant règlement spécial pour la délimitation des terres collectives, la tutelle a pu réaliser 471 DA, dont 200 DA ayant une superficie totale de 3.654.463 ha et qui sont toujours non homologuées. En 2009, la tutelle des terres collective a pu réaliser 260 DA homologuées sur une superficie de 2.454.621 ha, englobant 11 régions du royaume .
Le décret d’homologation purge tous les droits antérieurs qui n’y seraient pas mentionnés. Autrement dit, cet effet de purge est nécessaire pour apurer l’immeuble et le soumettre ainsi au nouveau régime, sans attache avec un passé aboli .
Le décret d’homologation de délimitation administrative équivaut aux effets de l’immatriculation ordinaire selon le dahir du 1913, mais cela n’empêche pas de transformer la délimitation administrative en titre foncier, selon une procédure spéciale simplifiée.
CONCLUSION
Tout au long de cette approche, Il a pu être constaté que les principes régissant la procédure de délimitation administrative étaient empruntés aux systèmes juridiques étrangers et constituant une œuvre législative du protectorat français. Ils étaient donc conçus et consacrés pour répondre en priorité aux intérêts de l’administration de l’époque.
Il est à souligner aussi que le régime de la délimitation est avant tout, un régime protecteur des droits immobiliers de l’Etat, et moins soucieux de respecter ceux des tiers.
Ce régime a donné à la propriété de l’Etat et la tutelle des terres collectives une assise juridique indéniable. Mais à l’heure actuelle et malgré les efforts déployés pour délimiter le reliquat du domaine privé de l’Etat ainsi que les terres collectives, on est encore loin d’atteindre les objectifs souhaités. Du fait que le régime actuel de la délimitation présente des signes de décalages entre la réalité socio-économique et la réalité juridique.