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LE DIVORCE POUR DISCORDE ET LA SOCIETE MAROCAINE

     


Par Si mohamed AKHDI

Doctorant en droit de la famille comparé, Université de Nantes




 
 
Le 5 février 2004 est entrée en vigueur au Maroc la loi 70-03, portant Code de la famille. Elle représente la première grande réforme législative du roi Mohammed V. Ce texte est marqué par la volonté du législateur marocain d’instaurer surtout en matière de divorce le droit à l’égalité entre l’homme et la femme.

La nouveauté de ce Code vient de ce que le législateur marocain procède à la libéralisation des principes de divorce. La réforme du 2004 ne se contente pas d’en changer le nom mais elle en transforme radicalement l’esprit du divorce.
Cette réforme voulait répondre à la nécessité d’adapter le divorce aux besoins contemporains. Elle maintient l’aspect pluraliste du divorce et elle modifie la dénomination de la répudiation par « le divorce sous contrôle judiciaire » et elle propose des nouveaux modes de la dissolution du mariage comme le divorce par consentement mutuel et le divorce pour discorde.
Désormais,  la volonté unilatérale d’une épouse suffit à engager une action en divorce pour discorde. Il n’est plus question de  vérifier, comme auparavant, la réunion des éléments constitutifs de la faute pour mettre fin au lien conjugal.

Cette situation n’est pas sans rappeler les répercussions de ce mode de divorce sur la famille marocaine et sur la société en général.

On peut penser que lorsqu’on procède à la réforme de la Moudawana, on peut toucher les principes de droit musulman, sous le prétexte de la « modernisation ».

Cette situation nous permet de s’interroger sur l’impact de divorce pour discorde sur la société marocaine (1). Ce qui conduit à la fragilisation de cette société (2).

 
    1 – L’impact du divorce pour discorde sur la société marocaine

Le divorce pour discorde occupe désormais quatre articles dans le nouveau Code de la famille marocain. Sa création est l’innovation la plus choquante du Code de la famille.

Désormais, il est possible pour une femme de se séparer de son mari irréprochable sans autre motif qu’un différent qui oppose les parties.

Du fait de cette innovation, il n’est pas certain que ce divorce soit bien accueilli par la population à laquelle il doit s’appliquer. En outre tous les éléments qui le composent nous prouvent qu’il aura des difficultés pour être accueilli par la population marocaine.

En effet, le divorce était une chose très rare au sein de la société marocaine, tout y était mis en œuvre pour maintenir le mariage
[1]. Avec l’influence du système occidental, le législateur marocain a introduit un nouveau cas de divorce, il s’agit d’une réforme tendant à créer un certain nombre d’équilibre entre l’homme et la femme en matière de divorce[2]. Pour justifiant cette logique, le législateur marocain est basé sur un verset coranique selon lequel : « Si vous craignez le désaccord entre les deux (époux), envoyez alors un arbitre de sa famille à lui, et un arbitre de sa famille à elle. Si les deux veulent la réconciliation, Allah rétablira l’entente entre eux. Allah est certes, Omniscient et parfaitement Connaisseur. »[3]

A cette fin, le législateur marocain a consacré quatre articles[4] pour ce divorce.

En réalité, l’introduction de divorce pour discord n’est pas passée sans créer des problèmes. L’équilibre que le législateur de 2004 a tenté de réaliser avec cette réforme est de plus en plus contesté.

D’abord, la logique au Maroc c’est que le mariage est une institution divine qui unit à vie deux personnes de sexes différents, en vue de fonder une vie stable, de procréer et d’assurer la pureté de l’enfant, dans une parfaite cohabitation. Dans cette logique la société déploie tous les efforts envisageables pour assurer la stabilité de la famille (les arbitres de la famille, personnalités dotées d’autorité morale, les Imams, les voisins, les gens du quartier…), tous ils s’interviennent pour la stabilité et  l’épanouissement de la famille, et ce, en assistant les couples, en les orientant, en prévenant les désaccords ou en incitant la conciliation lorsque les mésententes persévéraient
[5]. En réalité une telle attitude pouvait réellement produire des effets très positifs.

On peut dire aussi que le divorce dans la société marocaine était considéré comme une étape ultime, laquelle ne pouvait survenir qu’en cas d’extrême limite, s’il était démontré par tous les moyens que le mariage ne pouvait plus être sauvé.
Mais, malheureusement cette nouvelle innovation qui permet à chaque époux d’accéder facilement à la justice
[6] ne fait qu’accélérer la désunion et la rupture de la vie conjugale du conjoint, puisque la lenteur des procès judiciaires qui alimente d’habitude les animosités entre les époux (et même leurs familles), rend difficile toute possibilité de rétablir les liens conjugaux[7]. En ce sens, Mme R. NAJI souligne que « La juridiction est donc consultée afin de précipiter la séparation plutôt que d’ambitionner l’aplanissement du différend conjugal. Cela est toutefois confirmé par les chiffres prouvent que la majorité écrasante des dossiers de discorde se solde par la désunion ». Elle rajoute que « La juridiction est une institution qui n’est saisi que pour faciliter la séparation et non pour activer la réconciliation ou sauvegarder le lien conjugal et la stabilité familiale »[8].

Il faut noter également que l’ancienne société marocaine privilégie la recherche de la stabilité et la paix sociale, lesquelles ne peuvent être trouvées dans une société dans laquelle le divorce devenu banal.

De même, le législateur ne prévoit pas des causes limitées de discorde, tellement son champ est nombreux
[9] qu’en définitive on ne sait plus dans quel cas le divorce pour discorde est possible et dans quel cas il ne le sera pas.

Par ailleurs, si la doctrine
[10] constate que cette innovation constituée une mesure prophylactique[11] tendant à prévenir le désaccord ou l’aggravation du désaccord, de manière précoce. Il nous semble au contraire que ce texte, au lieu de réduire le nombre de divorces et créer une stabilité de la famille, a plutôt contribué à les augmenter, et le divorce est apparu en plus grand nombre[12].

Ce nouveau divorce prévoit également des effets pécuniaires inégalitaires, dans le sens où la femme qui impose la rupture peut obtenir des prestations compensatoires. Le juge peut donc condamner le mari de prendre en charge la nouvelle vie de son ex-épouse
[13].  Dans ce cas, le divorce pour discorde peut être une aventure pour celui qui le subit. Le mari abandonné va non seulement supporter un divorce dont il ne veut pas, mais encore doit financer la nouvelle vie de son  ex-épouse. Ces effets créent une injustice envers les hommes. On ne comprend pas pourquoi les conséquences financière de ce divorce ne devront être supporté que par l’homme alors qu’elles pourront aussi bien s’appliquer à la femme surtout lorsqu’elle peut être coupable d’abandonner sa famille sans motif légitime.

Cependant, les textes adoptés par le législateur de 2004 en matière de divorce pour discorde sont donc mal adaptés au contexte social. Les populations marocaines ne se sont pas bien s’adaptées, comme ils ont pensé les rédacteurs du Code. Au lieu de l’accepter, des jeunes se sont rebellées devant ces nouvelles conceptions du divorce et devant l’institution du mariage en général
[14]. Mme R. NAJI écrivait que « La dissonance est donc forte entre la conception islamique du Chiqaq et celle de la Moudawana, d’une part et entre celle-ci et son application de l’autre »[15].

On peut dire donc en définitive que ce divorce malgré le fait qu’il répondu aux aspirations individuelles des femmes marocaine, il constitue un élément important de la fragilisation de la société traditionnelle dans son ensemble.

 
              2 – La fragilisation de la société marocaine

Le problème n’est plus simplement la progression du divorce dans la société, ce qui est grave est qu’il est devenu de plus en plus facile de l’obtenir, même sans cause valable
[16]. Cela participe donc en définitive à une destruction des structures traditionnelles de la société marocaine.

La société marocaine a en effet pour structure fondamentale la famille, laquelle repose sur des valeurs religieuses. En outre on sait que dans notre société marocaine, le mariage n’avait pas pour seul mission de réaliser une union de deux personnes au sein d’un foyer, mais aussi et surtout de nouer des alliances destinées à durer le plus longtemps possible
[17]. Donc, tout ce qui est de nature à mettre en danger ces valeurs religieuses est susceptible d’être rejeté.

De ce fait, l’instauration du divorce pour discorde peut être analysée comme une atteinte grave à la cohésion sociale, et actuellement, au moment où une grande crise de valeurs touche la société marocaine dans son ensemble
[18], la question se pose de savoir s’il ne serait pas préférable de renouer avec les anciennes institutions du droit musulman[19].

On constate aussi que certaines valeurs comme la solidarité sont actuellement très recherchées dans la société occidentale, au moment où elles sont en train de disparaître dans la société actuelle au Maroc
[20].

On peut donc remettre en question cette nouvelle forme de divorce qui cherche la modernisation de la société marocaine, mais cette modernisation ne s’effectué que au détriment des principes importants de la société. En ce sens, on peut souligner la parole de Mr J. PIRENNE qui dit « Un changement social ne peut se réaliser ou se maintenir que pour autant qu’il s’accompagne d’un changement parallèle dans les conceptions morales
[21] ».

Ce qui revient à dire qu’en réalité la modernité proposée n’est qu’une modernité formelle et non un véritable droit moderne.
On peut dire en définitif que ceux qui se sont vus chargés de l’élaboration des textes du Code de la famille n’ont pas étudie réellement le contexte social. Il est donc indispensable de prendre en considération la culture marocaine pour élaborer des textes qui satisfassent aux besoins des populations marocaines. Sinon, l’élaboration  de telle disposition pourra constituer un élément de la fragilisation de la société marocain ce qui peut par ailleurs fragiliser l’institution du mariage.




[1] Une série des institutions traditionnelles était instauré pour éviter le divorce, comme la famille, les voisins, les amis, le Imam, les gens du quartier…
[2] Si l’homme dispose toujours du divorce-répudiation, la femme obtient, désormais, le divorce pour discorde.
[3] Chapitre « Les femmes », V, 35.
[4] Les articles, 94, 95, 96, 97, du Code de la famille.
[5] R. NAJI Mekkaoui, « La Moudawanah, Le reférentiel et le Conventionnel en Harmonie », op cit, p, 167.
[6] Les procédures de ce divorce sont rapides et peu coûteuse.
[7] Ibid.
[8] Ibid.
[9] M. CHAFIÏ, « Le talak et le divorce dans le code de la famille ». Ed, 1. Série des recherches juridiques.  p, 100.
[10] Voir en ce sens, Mme R. NAJI, « La Moudawanah », p, 168.
[11] Expression employée par Mme R. NAJI.
[12] Les statistiques officielles émanant du ministère de la justice en 2007 indiquent un accroissement du nombre du divorce. Les tribunaux de famille ont enregistré plus de demande de divorce pour cause de discorde émanant de l’épouse que de l’époux.
[13] On trouve une telle appréciation en droit français. Selon le législateur français, (le conjoint qui impose le divorce doit obtenir une prestation compensatoire dès lors que le divorce qu’il réclame crée une disparité dans les conditions de vie des époux).
[14] Avec l’augmentation de nombre de divorce, et la crainte des effets pécuniaires de nouveau divorce, de plus en plus des jeunes se détournent de l’institution du mariage, jugée trop contraignante.
[15] Ibid.
[16] Avec la réforme qui a fait du Chiqaq (discorde) la procédure devenue la moins compliquée et la plus rapide et la plus sûre : entre 2005 et 2006 on constate une évolution de 91,55% des demandes de divorce.
[17] Le mariage dans la société marocaine conclu entre deux responsables de deux familles (famille de l’époux et famille de l’épouse), ce mariage inaugure la perpétuation du groupe.
[18] L’individu est devenu la valeur première, qui l’emporte sur le groupe.
[19] Les arbitres, les Imam, les personnes dotées d’autorité morales…etc.
[20] Cette situation est confirmée par le nouveau Code de la famille qui protège la personne au détriment de l’intérêt du groupe.
[21] J. PIRENNE, « Les grands courants de l’histoire universelle », T, I, p, 17.



الاحد 10 نونبر 2013
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