La réforme de l’État et de ses institutions au Maroc notamment le service public de la justice est un terrain d’excellence où se retrouvent les citoyens, désireux d’un service public de la justice plus efficace, intègre, rapide, efficient et transparent et les agents publics de justice. Ces derniers soucieux de la reconnaissance de leur action convergent avec les gouvernants, dont la légitimité est souvent conditionnée par la réussite de la réforme. Le thème est récurrent, galvaudé même diront certains. En réalité il est plus que jamais d’actualité, à l’heure de la mondialisation, de la zone de libre échange et de la mise en œuvre de la nouvelle constitution de 2011. Or, l’un des axes majeurs de réforme auxquels seront jugés les agents publics chargés de la mise en œuvre est le terrain de l’indépendance des magistrats.
Mais comme toute réforme, l’implication des concernés est un gage de bonne réussite. Ainsi, c’est aux juges, de relever les défis de l’indépendance vis-à-vis du système politique. Ce sujet revêt un intérêt théorique considérable, vu son actualité et il est d’un intérêt majeur pour la communauté des professionnels de justice dans notre pays.
Aussi pour l’appréhender une approche des notions fondamentales s’impose.
1. Approche conceptuelle
1.1. Réforme
L’expression même de réforme mérite quelques mots d’explication. Réformer c’est changer. Le terme est emprunt de connotation positive. Réformer c’est donc changer dans le bon sens .
L’expression réforme désigne les actions de type législatif ou réglementaire qui doivent entrainer une modification substantielle de l’organisation, du périmètre d’action ou des méthodes de fonctionnement éventuellement par des hausses de productivité, d’amélioration du service rendu aux citoyens.
1.2. Le juge
Le juge est un magistrat qui remplit une fonction de jugement ou de parquet dans un procès. Ainsi, le juge peut être ou bien un magistrat de siège ou de parquet, le premier a pour fonction essentielle de trancher les litiges opposant des parties ou plaideurs dans le cadre d’une procédure. Le magistrat du parquet représente quant à lui la société et la défend par le biais de l’exercice de l’action publique notamment. Le Conseil constitutionnel français affirmait dans sa décision en date du 22 avril 1997 que « l'autorité judiciaire comprend à la fois les magistrats du siège et ceux du parquet », puis que « seul ce magistrat du siège [le président de la Cour d'appel], dans la plénitude des pouvoirs que lui reconnaît l'article 66 de la Constitution est le gardien de la liberté individuelle et que ce dernier est pas toute l'autorité judiciaire, mais seulement celle qui présente les caractères d'indépendance et d'impartialité requis de tout juge. Or les magistrats du parquet sont sous l'autorité hiérarchique du garde des Sceaux. Dans cette perspective, l'affirmation selon laquelle « l'autorité judiciaire comprend à la fois les magistrats du siège et ceux du parquet », outre qu'elle permet d'écarter le grief de la rupture d'égalité entre les parties, est une invitation à une application sélective de l'article 66 de la Constitution : l'intervention de l'autorité judiciaire n'est une garantie de la liberté individuelle que lorsque la décision émane d'un magistrat du siège, même s'il peut être saisi par un autre membre de l'autorité judiciaire qui n'est pas gardien des libertés individuelles .
1.3. Indépendance
On entend par indépendance, l’absence de relation, de sujétion, de cause à effet, de coordination entre différentes entités. L'indépendance professionnelle est le positionnement de non-subordination d'un professionnel par rapport à toute autorité qui lui confierait une mission. « L’indépendance des juges n'est pas une faveur qu'on leur accorde, c'est une garantie donnée à la société ; sans cette garantie, le pouvoir judiciaire ne saurait remplir la haute mission qui lui a été confiée... ». L'indépendance des magistrats représente un principe essentiel de l'État de droit .
2. Le rôle du juge marocain à travers l’histoire des réformes
Un petit rappel historique de quelques dates importantes dans l’histoire moderne de la justice marocaine s’impose.
2.1. La réforme de 1965
L'unification souhaitée depuis longtemps était réalisable. Le problème résidait dans le fait d’avoir voulu en même temps la marocanisation et l'arabisation dans un délai inférieur à deux ans, réduit ensuite à un an par suite de la promulgation tardive de la loi. Cette méthode hâtive avait des effets contraires à la volonté de réforme de la Justice au Maroc. Cette loi de 1965 fut l'une des rares lois votées par le Parlement duquel le Roi a mis fin en décrétant l'état d'exception. C'est le souverain qui disposait désormais du pouvoir législatif.
La loi aurait pu fixer un délai de plusieurs années avec application progressive de ses dispositions comme certains juristes l'ont préconisé, et comme cela a été fait en Tunisie de façon à éviter que « ... la continuité de l'application du droit soit brisée. Et à permettre une réforme sans perturber le fonctionnement des services judiciaires. Les pouvoirs publics et les magistrats marocains en particulier ceux qui sont bilingues ont eu une œuvre importante à réaliser au détriment d’une crise sensible de personnel qualifié .
2.2. La réforme de 1974
Cette réforme n’a pas pu réaliser une vraie séparation des pouvoirs et l’instauration d’une justice au-dessus de tous. Un auteur remarqua que la précipitation avec laquelle les textes législatifs et réglementaires de cette réforme furent adoptés par le gouvernement ; explique à quel point cette réforme n’a pas répondu aux attentes et vœux des hommes de bonne volonté épris de justice .
2.3- La réforme de 2004
En 2004, on a changé le code de procédure pénale et le code de la famille ; ce qui a eu pour effet de renforcer les pouvoirs du parquet. Ce dernier est jusqu' ‘à ces jours sous la subordination du ministre de la justice. La plupart des juges surmenés par des tâches multiples et abattus par les conditions de travail n’ont pas érigé le pouvoir judiciaire en véritable autorité.
Quelques tentatives de corporation et d’expression, ont été sévèrement réprimées. Depuis, la syndicalisation croissante du personnel du ministère de la justice vont augmenter le mépris vis-à-vis de la justice au Maroc et acculer le juge au silence. La succession des discours Royaux va attiser le débat sur la réforme de la justice, mais la voix des juges restait conditionnée par un statut et des usages d’un autre temps.
2.4- La réforme constitutionnelle de 2011
La constitution de 2011 a érigé l’autorité judicaire en véritable pouvoir, mais a suspendue un ensemble de dispositions notamment le statut des magistrats à la promulgation de textes réglementaires qui tardent à sortir.
J’essaierais d’analyser la position de ces magistrats vis-à-vis de la réussite de la réforme avant, pendant et après la réforme, en mettant l’accent sur la différence entre la magistrature de parquet ou de siège?
I- Le rôle des juges du parquet dans la réussite de la réforme
Les magistrats du parquet sont impliqués fortement dans la réussite de la réforme. Cette implication devrait se traduire par un certain nombre d’obligations essentiellement liées à la garantie de leur indépendance.
1- Les obligations des magistrats du parquet face au ministre de la justice
Rappelant que parmi les importants axes de la réforme, est la création d‘un haut conseil de l’autorité judiciaire , ou le ministre de la justice perdra sa qualité de vice-président en faveur du premier président de la cour de cassation. Les magistrats du parquet seront appelés à ne plus exécuter les décisions d‘immixtion de ce ministre .
La politique pénale, quant à elle devrait être du ressort du pouvoir législatif, ce qui implique que les parquetiers ne devront plus rendre compte au ministre de la justice comme c‘est le cas dans le système actuel. Le ministre de la justice n‘est pas un législateur et ne devrait pas prendre des dispositions qui fixeraient de nouvelles règles accentuant par la même la mainmise du pouvoir politique sur le parquet qui est une composante importante du pouvoir judiciaire .
2- Les obligations des magistrats du parquet face aux infractions
Quant aux infractions, je préconise d‘instituer un système de poursuite légale pour les infractions les plus graves. Quant aux autres, il suffit de prévoir un recours contre les classements sans suite. Ainsi, on parviendrait à résoudre un grand nombre de difficultés qui se posent actuellement.
Les magistrats du parquet sont sensés lutter contre la corruption au sein même du pouvoir judiciaire : A ce niveau, rappelant que certains auteurs suggèrent de négocier le départ volontaire des magistrats ripoux, le détachement et la mise à disposition d‘une seconde partie des magistrats pour ne garder qu‘une partie qualifiée d‘intègres et compétents .
3 - La plénitude d‘exercice des droits des magistrats et son rôle dans réussite de la réforme
La réforme annoncée devrait pousser les magistrats de parquet probes et compétents à postuler pour les postes de responsabilité au sein du parquet, ils ne seront plus les candidats du ministre de la justice ou du ministère mais des candidats indépendants qui ne rendent de compte qu‘ à leur conscience et à la loi. La réforme de la justice doit assurer aux magistrats du parquet de tous les niveaux une représentativité proportionnelle au sein de la haute autorité créée pour superviser leur carrière, afin qu‘ils rétablissent la confiance qu‘ils ont perdue par des années de fausse représentativité et qu‘ils participent activement dans l‘élection de leur représentants sensés siéger à côté de représentants des magistrats du siège et des membres extérieurs à la justice dans des proportions qui ruineraient tout corporatisme et paternalisme.
Enfin, les parquetiers ont le droit de changer de carrière en devenant des magistrats de siège au détriment du principe de spécialisation qui n‘est pas seulement un gage de compétence mais aussi présente un risque de partialité, car il va à l‘encontre du principe de rotation automatique des grands agents de l‘état. Mais , qu‘en est est-il de la réussite de la réforme de la justice et du rôle des magistrats du siège?
II- Le rôle des juges du siège dans la réussite de la réforme
Nous allons analyser ce rôle à travers les obligations des juges de jugement tant à travers des politiques que des justiciables.
1- Les obligations des magistrats du siège face aux politiques
Les attentes de la réforme se reportent très naturellement sur le juge du siège , qui doit avoir comme préoccupation morale pure et simple d‘appliquer le droit et non pas de faire la tâche du politique. C‘est ce dernier qui doit faire en sorte que les enfants soient heureux dans leur famille, que les couples se réconcilient, que les entreprises en difficultés soient redressées, que le tissu économique soit restauré. Si ces attentes se sont déplacées sur le juge, c’est à cause de du politicien recherchant un bouc émissaire. Le juge ne peut satisfaire ces attentes ,vu sa mission traditionnelle d‘appliquer le droit.
De plus, Les finances publiques étant ce qu‘elles sont, les politiques même en temps de réforme ne pourront pas multiplier le nombre des magistrats par 10, et même si c‘était possible, le problème ne sera pas résolu; pour autant, plus la justice aura des moyens et plus elle sera sollicitée.
Même actuellement, les juges de siège doivent savoir qu‘il y‘a une volonté politique de maintenir le système en état de dépendance. Les juges de siège doivent se détacher du politique et ne plus obéir aux hommes politiques. De plus, la fonction politique ne confère pas une immunité générale: nul ne peut prétendre incarner la raison d‘état et dans un procès personne n‘est jamais cru sur parole surtout des politiques qui se croient au-dessus de la loi. La réforme ne peut réussir que si le grand public croie à juste titre que les juges de siège vont ramener les hommes politiques au respect de la loi et du droit.
2- Les obligations des magistrats de siège face aux justiciables
Le développement et la modernité des lois fondamentales et processuelles ne peuvent à elles seules garantir une justice forte et respectée. De même, que l‘équipement sophistiqué des tribunaux et de hauts salaires dispensés aux magistrats ne peuvent garantir la réussite de la réforme ( voir la justice des pays du golf arabe), mais une rémunération égale aux hauts cadres des autres autorités est un gage de la volonté d‘égalité des 3 pouvoirs.
Ce qui est sûr que, les juges de siège marocains ne réussiront la réforme que s‘ils gagnent la confiance des justiciables par le biais de la garantie de la sécurité juridique. Ils doivent pour cela respecter un mode de vie qui assure une permanence de résidence dans le ressort de leur juridiction de fonction, ce qui influera positivement sur le nombre des dossiers liquidés. L‘état étant tenu de leur garantir un habitat décent dans la localité de leur nomination.
Aussi, un respect scrupuleux, intégrité et indépendance et rupture avec la culture de la corruption , du favoritisme et de l‘abus de pouvoir contribuera fortement à la réussite de la réforme.
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