La consécration de l’institution du wali comme autorité déconcentrée représentant le pouvoir central, est de nature à la mettre sous la houlette non du ministre de l’Intérieur mais du Chef du Gouvernement puisque la lecture aussi bien exégétique que politique des textes(la Constitution, les dahirs de1963, 1977 et de 2008), impose une redéfinition de ce lien de rattachement, qui plus une construction conceptuelle théorique datant de 1’ère ou le ministère de l’Intérieur constituait un véritable " État dans un État » à cause de charisme, de la puissance, et de l’influence politique des ministres de l’Intérieur qui s’y sont succédés .
Aussi le rattachement, et la nécessité de la cohérence de l’action du wali au Chef du Gouvernement, au lieu de rattacher à un ministre en particulier, puisque le premier et mieux à même de coordonner les instructions des différentes ministères composant l’effectif avant de les transmettre aux walis, afin d’éviter un éclatement et une dispersion des efforts et des moyens déployés par les ministres agissant séparément. Le même raisonnement a été défendu par un auteur, ayant travaillé sur l’évolution du corps préfectoral français, qui, tout en ayant reconnu la difficulté d’un tel rattachement, due à l’inexistence d’une administration de coordination du travail de l’institution préfectorale, avait souligné qu’ : « il serait parfaitement logique et cohérent que les préfets et les sous-préfets, soient directement rattachés au Premier ministre, qu’ils soient affectés à des postes territoriaux, ou qu’ils soient investie d’une mission de service public »[[1]]url:#_ftn1 .
Cependant, la situation du wali, en ce qui a trait à son rattachement politico administratif, est loin d’être claire, puisqu’elle comporte des zones d’ombre, comme celle d’ailleurs du préfet français, admirablement illustrée par François-Paul Benoit, dans son ouvrage sur le Droit Administratif Français, où il écrit : « ou le préfet se limite à son rôle politique et abandonne toute l’administration technique aux directeurs départementaux, qui deviennent alors les représentants techniques du Gouvernement, par le canal et sous la seule autorité de leurs ministres techniques ; ou le préfet entend conserver la plénitude de son rôle, politique mais aussi administratif, et il doit alors exercer une autorité totale les directeurs départementaux (…) ou bien la représentation du pouvoir central dans le cadre dépigmenta est le reflet exact de ce pouvoir le préfet étant alors le Gouvernement dans le département et le directeurs départementaux ses subordonnés effectifs, comme les ministres considérés individuellement sont subordonnés aux autorités gouvernementales, ou bien il n’ya plus un représentant du pouvoir central, mais seulement des représentants des divers ministres, le préfet ne représentant plus que le ministre l’Intérieur ».[[2]]url:#_ftn2 À l’observation de l’évolution des institutions, et des textes ayant favorisé le processus de déconcentration au Maroc, on déduit que la qualité wali –délégué du gouvernement s’est mue au gré de l’évolution législative qu’ont connue sa condition dans la région, la préfecture ou la province où il représente l’État. Les collectivités territoriales et une attribution progressive aux édiles locaux des prérogatives, qui étaient jusque-là du domaine des gouverneurs et des autres agents d’autorité.
En effet, pendant les années soixante-dix, l’État, sachant pertinemment que le renforcement des pouvoirs des élus locaux, déboucherait nécessairement sur un affaiblissement du pouvoir central et un amenuisement du rôle de son représentant où il exerce son commandement , et cherchant à tout prix à maintenir un équilibre entre la répartition des pouvoirs entre le centre et les périphéries, d’autant plus que le ministère de l’Intérieur, du haut de son omnipotence tutélaire, considérait les collectivités locales, non comme des circonscriptions décentralisées, mais comme des services déconcentrés. Suite à cette situation, fut adopté en 1977 le dahir du 15 février 1977[[3]]url:#_ftn3 , relatif aux attributions du gouverneur, en vertu duquel le gouverneur a été promu comme représentant direct du Souverain .Cette consécration avait confirmé la qualité d’autorité supérieure qui avait été reconnue au gouverneur, qu’il tire désormais d’une institution constitutionnelle et religieuse, le Commandeur des croyants, légitimant son pouvoir de représentation. Toutefois, juridiquement, le gouverneur ne représente le roi, dans son ressort territorial qu’en la forme, aucune délégation de pouvoirs au fond des attributions royales, qu’elles soient religieuses ou politiques ne lui a été accordée. En outre, l’article 102 de la constitution de 1996 ne considérait pas le gouverneur comme représentant du roi, mais le définissait en tant que représentant de « l’État » dans les provinces, les préfectures et les régions, ce qui laissait penser que l’article 1er du dahir du 15 février 1977, a été ainsi tacitement abrogé. Cette thèse a été confirmée, par la suite, clairement par les textes ultérieurs, en l’occurrence l’article 145 de la nouvelle constitution de juillet 2011, qui rend le wali représentant du « pouvoir central » dans les régions.
Un exemple anecdotique, mais qui est largement révélateur, peut être rappelé à titre d’illustration : depuis 2015, les évènements organisés à Casablanca par le wali, les « Casa Smart City », mettent en avant les élus, le président de région et le maire qui prennent la parole, tandis que le wali, installé au premier rang, reste silencieux. Enfin, le changement est d’ordre symbolique : le retrait de la personne du roi de la scène publique. Cet éloignement qui s’était fait ressentir dès les transformations constitutionnelles de 2011, s’est intensifié depuis les dernières élections communales de 2015 et l'adoption de la loi sur la Région, tout cela sur fond de contestations sociales, particulièrement à Tanger. La montée des islamistes dans les grandes villes, à commencer par Casablanca, explique aussi le retrait de l’intervention royale dans les modes de gouvernement de la ville. La conjoncture politique s’avère avoir une incidence sur le wali et la représentation royale. Depuis cette date en effet, il y a eu un souci d’effacer la représentation royale en la figure du wali. Cette nouvelle configuration s’est exprimée lors de la succession du wali Khalid Safir, en juin 2017. Le nouveau nommé, Abdelkbir Zahoud, est un politique, ancien ministre de l’Équipement, issu du parti de l’Istiqlal. La pluralisation des acteurs et des centres de pouvoirs engendre une pluralité de dynamiques créatrice d’instabilités et rend l’environnement de plus en plus incertain. Ce sont précisément les tensions nées de ces instabilités et de ces incertitudes qui donnent au wali des raisons et des possibilités d’agir.
Sa multipositionalité et le prestige que lui confère la fonction de représentant de l’État le mettent en position privilégiée pour prendre en charge des situations et pour gouverner, au moins partiellement et temporairement. Les walis sont en mesure de répondre à l’incertitude créée par un contexte confus et par les initiatives fragmentées et éparses d’autres acteurs, compte tenu, précisément, de leur faculté à intervenir de manière non formalisée et en s’appuyant sur des truchements et des intermédiaires. Ces modalités assurent une souplesse à l’exercice du pouvoir, ce qui permet au wali de «faire avec » les imprévus, de transformer la contingence d’événements extérieurs en opportunités, de jouer des transformations dans les équilibres entre forces de pouvoirs. La mise en œuvre de la complémentarité entre les programmes de développement menés par les collectivités territoriales et ceux opérationnalisés par les services déconcentrés de l’administration centrale, ne peut, en bonne logique, incomber qu’à l’institution territoriale dont les attributions s’étendent, à la fois, au domaine de décentralisation et à celui de déconcentration, en l’occurrence le wali ou le gouverneur. Le rôle consistant à garantir la complémentarité et la synergie entre l’action administrative décentralisée d’une part et administrative déconcentrée d’autre part, dévolu aux walis et gouverneurs, est expressément prévu par l’article 145 de la constitution chargeant ces derniers : d’assurer la représentation du pouvoir central ; d’exercer le contrôle administratif sur les collectivités territoriales et d’assister leurs présidents dans la conduite des missions en relevant ; de coordonner les activités des services déconcentrés de l’administration centrale et de veiller sur leur bon fonctionnement. Alors même que le langage administratif, aujourd’hui, et plus encore celui des discours ministériels, a tendance à multiplier les emplois du mot concertation. On l’applique indifféremment à la négociation d’accords faisant intervenir des représentants du Gouvernement, des syndicats et du patronat ou à l’élaboration de décisions gouvernementales définissant les grandes orientations applicables à un secteur professionnel[[4]]url:#_ftn4 .
La coordination, quant à elle, est un mécanisme d’organisation spécifique garantissant l’uniformisation de l’activité, notamment, dans la réalité administrative marocaine caractérisée par la configuration de l’autorité en forme de pyramide d’institutions et de ministères, eux-mêmes répartis en directions et services autonomes et concurrents, ce qui ne va pas sans créer des difficultés à cause de la multiplication du nombre des intervenants dans chaque domaine. Chaque direction opérationnelle ou fonctionnelle communique selon ses propres priorités. On note un véritable défaut de coordination. Il n’est pas rare d’entendre des services se plaindre d’avoir été informés par la presse. Ce genre de situations peut créer un sentiment de malaise par rapport aux priorités des organes de directions. Considérant à cet égard l’importance de la coordination, certains acteurs sont allés jusqu’à la considérer comme le cœur de l’activité administrative[[5]]url:#_ftn5 , d’autres ont pu mettre l’accent sur : l’uniformisation des efforts dans la préparation des décisions administratives dans le cadre de l’organisation administrative de l’État sans aucun tiraillement dans l’exercice des compétences. Parmi les raisons justifiant le recours au mécanisme de coordination, on peut noter : premièrement, la réalisation de l’équilibre budgétaire entre les départements sectoriels considérés comme particulièrement budgétivores. Deuxièmement, les situations d’urgence ou de crise qui constituent, selon une certaine doctrine, une menace même contre la sécurité nationale, qui se manifesterait sous plusieurs aspects, notamment, l’aggravation de la pauvreté et la misère sociales, la marginalisation, l’anarchie, la criminalité organisée et la gouvernance déficiente[[6]]url:#_ftn6 (ce dernier aspect caractérisé par l’abus de pouvoir, la corruption, la défaillance des institutions, et l’absence de reddition des comptes, etc.) En troisième lieu, la complexité croissante des actions publiques, de ce point de vue, la coordination constitue un moyen essentiel d’unification de l’action des différentes administrations sectorielles. Le caractère décentralisé des politiques sociales a longtemps eu pour corollaire le défaut de mécanismes de concertation et de coordination à l’échelle nationale.
Cette carence est accentuée par la difficulté structurelle qu’éprouvent les régions à dégager une position commune sur certains sujets, condition pourtant nécessaire à un dialogue politique fécond avec l’État. Cette situation est aggravée par le fait que l’État a choisi de relancer lui-même des initiatives nationales en matière de prévention et de lutte contre la pauvreté ou de protection de l’enfance, déclinées localement par la voie contractuelle, sans disposer d’un interlocuteur clairement désigné au stade de la conception du dispositif. Aussi est-ce seulement lors de la mise en œuvre que se sont révélées certaines difficultés qui auraient pu être anticipées.
Eu égard à cette question, si en France, comme le soulignait Gaston Jeze, « le préfet est le type de fonctionnaire absolument dépendant des gouvernants [[7]]url:#_ftn7 », au Maroc la situation du wali est quelque peu différente, puisqu’il dépendait, jusqu’à un passé proche, plus du roi et du ministre de l’Intérieur qu’au chef du Gouvernement, et avant la dernière constitution de 2011, il ne référait qu’au roi et au ministre de l’Intérieur. L’histoire du Maroc moderne regorge d’exemples où les walis recevaient leurs instructions directement du Cabinet royal ou du ministère de l’Intérieur, à croire que ce dernier, constituait à lui seul un Gouvernement à part, Cet état de fait a constamment gêné les partisans d’une monarchie parlementaire, ayant défendu depuis toujours, l’observation scrupuleuse du principe constitutionnel de séparation des pouvoirs. Nous pensons, de notre part, que cette situation provient, d’abord, de l’histoire de l’exercice de la fonction de wali au Maroc, qui laisse persister un flou concernant l’autorité administrative de son rattachement.
La nouvelle constitution a renforcé le statut des collectivités territoriales en tant qu’acteurs de développement de leurs territoires respectifs. L’édifice institutionnel territorial national étant interdépendant, chaque échelon de décentralisation doit assumer sa quote-part de réalisation des objectifs de développement national. En effet, l’implantation territoriale des différents services déconcentrés sans les moyens juridiques de la coordination risque d’entrainer un émiettement de l’action de l’État. Il convient dès lors d’imprimer et de traduire sur le terrain la cohésion des services déconcentrés. Il s’agit également de corriger les options techniques, et parfois technocratiques, pour mieux les adapter aux donnés régionales, provinciales et locales[[8]]url:#_ftn8 . Pour ce faire, la coordination devrait se décliner à travers les fonctionnalités suivantes : redistribution efficiente de l’ensemble des activités administratives ; concrétisation de la chaine de complémentarité entre les différentes actions de l’administration ; prohibition de la concurrence, puisque la coordination vise à harmoniser les fonctions de tous les services[[9]]url:#_ftn9 .
Au Maroc, la problématique de la coordination des services déconcentrés s’est posée à l’administration marocaine dès la libération, au moment où le jeune État, recouvrant l’exercice de la plénitude de sa souveraineté, s’est attelé rapidement à la reconstruction nationale. Les nécessités du développement à notre époque supposent que l’on dispose d’un agent coordinateur des services techniques et dont l’intervention est nécessaire[[10]]url:#_ftn10 .Cette coordination doit permettre de mettre en œuvre des actions intégrées de développement portant sur certaines régions et sur certains centres choisis en fonction de critères tirés des nécessitée telles d’un aménagement rationnel. De telle actions ont alors un double avantage : la concentration judicieuse des équipements de toutes sortes (sanitaires, scolaires, culturels, administratifs, commerciaux, habitat, etc.) Aboutir à tirer un meilleur profit des investissements entrepris ; elle est de nature à faciliter les actions de mise en valeur, elle met à la disposition de la population des équipements collectifs susceptibles de la retenir sur les lieux mêmes où s créent de nouvelles conditions d’existence[[11]]url:#_ftn11 . L’article 5 précise que «la politique de déconcentration administrative repose sur deux principes fondamentaux : La Région...et le rôle central du wali … ».
La cohésion du couple wali de région et président de région est au cœur du dispositif régional marocain.
La synchronisation du processus de la mise en place institutionnelle de la régionalisation avancée, dans ses composantes décentralisée et déconcentrée, est primordiale pour le fonctionnement du binôme.
La charte prévoit dans son article 9 le regroupement des services déconcentrés au niveau des régions et provinces en représentations ministérielles de deux ou plusieurs départements dont les objectifs sont communs ou complémentaires. Si le regroupement en lui-même est porteur du principe d’économies d’échelle, de solidarité et de convergence de l’action publique, en revanche, ce processus risque fort d’être battu en brèche au regard des architectures mouvantes des gouvernements qui obéissent plus à la couleur politique qu’aux projets politiques. Et donc, c’est à la commission interministérielle, instaurée auprès du chef de gouvernement, de veiller à la validation des schémas directeurs de la déconcentration, la proposition de création de représentations ministérielles communes, et les pouvoirs décisionnels à transférer.
La déconcentration est une technique d’organisation de l’administration parallèle et solidaire de la décentralisation. C’est, « est un mode d’aménagement de l’administration caractérisé, au sein d’une même personne morale, par la remise du pouvoir ou par la délégation de celui-ci à la hiérarchie administrative et qui lui demeure assujettie. La déconcentration se traduit par une distinction entre les services centraux (essentiellement les départements ministériels) et les services déconcentrés. » .
Il s’agit, d’un transfert de compétences de l’État vers des circonscriptions administratives. Autrement dit : c’est un transfert de pouvoir de décision vers des autorités nommées par l’État dans des territoires administratifs localisés, il y a donc une certaine corrélation avec l’administration territoriale décentralisée. Dans le but d’achever le chantier d’envergure de la régionalisation avancée, la charte de déconcentration administrative tend à mettre fin aux dispositions du décret du 20 octobre 1993 [[12]]url:#_ftn12 qui résume la relation entre l’État est ses services déconcentrés en présentant le pouvoir central chargé d’une mission de conception et de contrôle, et ses services chargés de l’exécution des décisions prises au niveau central.
Ce scénario ne figure plus depuis décembre 2018 en laissant place à une nouvelle conception d’une charte administrative qui vient produire des innovations considérables et traçant de nouveaux mécanismes de gouvernance des services déconcentrés. Et en application de la stratégie de la déconcentration administrative, le Gouvernement Marocain a mis en place la charte nationale de la déconcentration administrative, qui prévoit le transfert du pouvoir central aux collectivités territoriales.
L’objectif de la charte de la déconcentration administrative est de clarifier le rôle de chacune des Administrations : centrale et territoriale ; La première doit s’acquitter de la conception, la programmation, l'orientation, et l'évaluation de la performance des services déconcentrés, ainsi que la préparation des textes législatifs et réglementaires; Et la deuxième devrait veiller à la réalisation des politiques publiques sur le plan opérationnel, suivre leur exécution et fournir l’appui technique nécessaire aux collectivités territoriales, et notamment la région, le niveau culminant de prise de décisions territoriales (principe de subsidiarité).
C’est en rapprochant les citoyens des lieux de responsabilité publique, que la région peut gérer un supplément de démocratie par le développement d’une culture de proximité, d’écoute et de négociation. Ainsi, « Déconcentrer » devient le moyen inéluctable de faire fonctionner efficacement l’Administration publique, il consiste à adopter une répartition claire et définie des actions à mener par le niveau national chargé de la réflexion et la conception, et le niveau territorial chargé de l’application et l’exécution des projets et programmes.
Mais aussi, il convient que la déconcentration soit accompagnée de la motivation et les moyens nécessaires pour mobiliser les services déconcentrés de l’État. L’effectivité de la déconcentration administrative implique des services déconcentrés avec des pouvoirs de décision, et des moyens d’action en adéquation avec les missions et les prérogatives de chaque niveau de déconcentration : régional et préfectoral. La lettre royale adressée aux participants aux premières assises nationales sur la régionalisation avancée des 21 et 22 décembre 2019 à Agadir l’a rappelée. Au Maroc, la déconcentration administrative est considérée comme un enjeu à la démocratie. Elle est toujours un sujet d’actualité, et pourtant c’est un processus démarré depuis des années et qui n’a pas encore été couronné de succès. Depuis les années 90, se sont enchainées les stratégies et les processus de déconcentration mais qui n’ont pas pu atteindre les objectifs souhaités : les disparités persistent et la répartition des moyens de l’État et des structures déconcentrées reste incohérente, et dépendante de l’Administration centrale. Celle-ci se trouve débordée et dépourvue des moyens et des compétences nécessaires, engendrant des retards dans la réalisation des projets de grande envergure.
En réponse à ce contexte fortement centralisé, la charte nationale de la déconcentration administrative a vu le jour. Innovation juridique et pratique, car la régionalisation de l’administration consacre le rôle majeur du wali de région, qui conquiert progressivement son autorité sur les gouverneurs, sa direction des services déconcentrés régionaux et son influence auprès des élus territoriaux. Toutefois, son application n’est pas sans enjeux, car la mise en place de ce processus lourd doit être appuyée par les moyens nécessaires afin de multiplier ses chances de réussite. Selon la charte de la déconcentration administrative, les actions envisagées entre autres, à travers l’implication des walis et gouverneurs se présentent comme suit :Article 26 : […] Les Walis et les Gouverneurs supervisent l’élaboration des programmes et projets décidés par les autorités publiques ou prévus dans le cadre de conventions ou de contrats conclus avec d’autres organismes conformément aux dispositions de l’article 23 du présent décret[[13]]url:#_ftn13 et veillent à assurer leur convergence, leur cohérence et leur harmonie.
Ils sont également chargés, chacun dans le ressort de sa compétence, à prendre toutes les mesures nécessaires à l’exécution, par les services déconcentrés de l’État, de leurs missions, de leurs obligations et des programmes et projets précités […].L’article 27 prévoit: En leur qualité de représentant du pouvoir central, les Walis et les Gouverneurs veillent, chacun dans le ressort de sa compétence, à prendre toutes les mesures appropriées et nécessaires, en vue d’assurer l’accompagnement, par les services déconcentrés de l’État, des collectivités territoriales, leurs groupements et leurs organismes, dans la réalisation de leurs programmes et projets de développement. […]Le besoin d'un accompagnement de l'État et des collectivités pour la réalisation des missions, l'importance d'un État déconcentré à une échelle d'efficacité de proximité, qui correspond très souvent à l'échelle régionale. Les services doivent être largement déconcentrés, avec la capacité d'agir. Quant au wali, il doit être l'interlocuteur privilégié, le chef d'orchestre. À un moment donné, l'État a décidé d'externaliser ses fonctions, en créant des commissions régionales, sources, semblait-il, d'efficience.
Or aujourd'hui, ces dernières, quelle que soit la diversité des territoires, assurent le service.
Plus concrètement encore, l’article 30 de la charte prévoit la création, sous la présidence et la supervision du wali, d’une commission régionale chargée de la coordination. Cette dernière, et comme son nom l’indique, sera chargée notamment de travailler à l’homogénéité, la convergence et l’unité des services décentralisés au niveau régional. Elle comptera parmi ses membres un secrétaire général chargé des affaires régionales. Il s’agit là d’une fonction nouvellement créée par la charte.
Dans ce sens, l’article 33 stipule qu’il sera procédé à la nomination par le ministre de l’intérieur d’un secrétaire général chargé des affaires régionales. Ce dernier est notamment chargé sous la supervision du wali de toutes les missions qui lui seront confiées par le même wali. Il sera, en outre, en charge des travaux de coordination et de suivi nécessaires pour aider le wali. Nous serons conduits, ainsi, à nous interroger d’une part, sur les fondements juridiques de la mission de coordination dévolue au wali et d’autre part, sur les moyens institutionnels dont il dispose pour la mener à bien sa mission. Il convient de doter les territoires, au niveau régional, d'une ingénierie développée, afin de répondre aux différents besoins. Il est d'abord nécessaire de coordonner ce qui existe déjà, ensuite de compléter les solutions, le wali apportant une ingénierie propre, mobilisable sur le terrain, à la demande des collectivités territoriales. Enfin, le wali doit se positionner sur les grands domaines stratégiques : Comment aider son territoire à affronter les enjeux à venir ? S'agissant du service qu'il rend aux territoires, le wali possède des moyens relativement faibles. Il œuvre à une sorte de mise en cohérence des grands acteurs et apporte une réponse, lorsqu'il est demandé par le territoire. Il doit faire l'analyse du terrain, pour évaluer les besoins, les mettre en cohérence, afin de répondre à l'attente des élus. S’il accomplissait cette mission, ce serait déjà très bien ! Or c'est exactement ce que les élus souhaitent ! Il s'agissait de répondre au besoin réel de mieux accompagner les élus dans leurs démarches, qui sont de plus en plus complexes. Le wali doit s'impliquer beaucoup plus et beaucoup mieux pour répondre aux besoins de tel ou tel territoire. Il est le mieux placé pour conduire ce travail.
Aussi le rattachement, et la nécessité de la cohérence de l’action du wali au Chef du Gouvernement, au lieu de rattacher à un ministre en particulier, puisque le premier et mieux à même de coordonner les instructions des différentes ministères composant l’effectif avant de les transmettre aux walis, afin d’éviter un éclatement et une dispersion des efforts et des moyens déployés par les ministres agissant séparément. Le même raisonnement a été défendu par un auteur, ayant travaillé sur l’évolution du corps préfectoral français, qui, tout en ayant reconnu la difficulté d’un tel rattachement, due à l’inexistence d’une administration de coordination du travail de l’institution préfectorale, avait souligné qu’ : « il serait parfaitement logique et cohérent que les préfets et les sous-préfets, soient directement rattachés au Premier ministre, qu’ils soient affectés à des postes territoriaux, ou qu’ils soient investie d’une mission de service public »[[1]]url:#_ftn1 .
Cependant, la situation du wali, en ce qui a trait à son rattachement politico administratif, est loin d’être claire, puisqu’elle comporte des zones d’ombre, comme celle d’ailleurs du préfet français, admirablement illustrée par François-Paul Benoit, dans son ouvrage sur le Droit Administratif Français, où il écrit : « ou le préfet se limite à son rôle politique et abandonne toute l’administration technique aux directeurs départementaux, qui deviennent alors les représentants techniques du Gouvernement, par le canal et sous la seule autorité de leurs ministres techniques ; ou le préfet entend conserver la plénitude de son rôle, politique mais aussi administratif, et il doit alors exercer une autorité totale les directeurs départementaux (…) ou bien la représentation du pouvoir central dans le cadre dépigmenta est le reflet exact de ce pouvoir le préfet étant alors le Gouvernement dans le département et le directeurs départementaux ses subordonnés effectifs, comme les ministres considérés individuellement sont subordonnés aux autorités gouvernementales, ou bien il n’ya plus un représentant du pouvoir central, mais seulement des représentants des divers ministres, le préfet ne représentant plus que le ministre l’Intérieur ».[[2]]url:#_ftn2 À l’observation de l’évolution des institutions, et des textes ayant favorisé le processus de déconcentration au Maroc, on déduit que la qualité wali –délégué du gouvernement s’est mue au gré de l’évolution législative qu’ont connue sa condition dans la région, la préfecture ou la province où il représente l’État. Les collectivités territoriales et une attribution progressive aux édiles locaux des prérogatives, qui étaient jusque-là du domaine des gouverneurs et des autres agents d’autorité.
En effet, pendant les années soixante-dix, l’État, sachant pertinemment que le renforcement des pouvoirs des élus locaux, déboucherait nécessairement sur un affaiblissement du pouvoir central et un amenuisement du rôle de son représentant où il exerce son commandement , et cherchant à tout prix à maintenir un équilibre entre la répartition des pouvoirs entre le centre et les périphéries, d’autant plus que le ministère de l’Intérieur, du haut de son omnipotence tutélaire, considérait les collectivités locales, non comme des circonscriptions décentralisées, mais comme des services déconcentrés. Suite à cette situation, fut adopté en 1977 le dahir du 15 février 1977[[3]]url:#_ftn3 , relatif aux attributions du gouverneur, en vertu duquel le gouverneur a été promu comme représentant direct du Souverain .Cette consécration avait confirmé la qualité d’autorité supérieure qui avait été reconnue au gouverneur, qu’il tire désormais d’une institution constitutionnelle et religieuse, le Commandeur des croyants, légitimant son pouvoir de représentation. Toutefois, juridiquement, le gouverneur ne représente le roi, dans son ressort territorial qu’en la forme, aucune délégation de pouvoirs au fond des attributions royales, qu’elles soient religieuses ou politiques ne lui a été accordée. En outre, l’article 102 de la constitution de 1996 ne considérait pas le gouverneur comme représentant du roi, mais le définissait en tant que représentant de « l’État » dans les provinces, les préfectures et les régions, ce qui laissait penser que l’article 1er du dahir du 15 février 1977, a été ainsi tacitement abrogé. Cette thèse a été confirmée, par la suite, clairement par les textes ultérieurs, en l’occurrence l’article 145 de la nouvelle constitution de juillet 2011, qui rend le wali représentant du « pouvoir central » dans les régions.
Un exemple anecdotique, mais qui est largement révélateur, peut être rappelé à titre d’illustration : depuis 2015, les évènements organisés à Casablanca par le wali, les « Casa Smart City », mettent en avant les élus, le président de région et le maire qui prennent la parole, tandis que le wali, installé au premier rang, reste silencieux. Enfin, le changement est d’ordre symbolique : le retrait de la personne du roi de la scène publique. Cet éloignement qui s’était fait ressentir dès les transformations constitutionnelles de 2011, s’est intensifié depuis les dernières élections communales de 2015 et l'adoption de la loi sur la Région, tout cela sur fond de contestations sociales, particulièrement à Tanger. La montée des islamistes dans les grandes villes, à commencer par Casablanca, explique aussi le retrait de l’intervention royale dans les modes de gouvernement de la ville. La conjoncture politique s’avère avoir une incidence sur le wali et la représentation royale. Depuis cette date en effet, il y a eu un souci d’effacer la représentation royale en la figure du wali. Cette nouvelle configuration s’est exprimée lors de la succession du wali Khalid Safir, en juin 2017. Le nouveau nommé, Abdelkbir Zahoud, est un politique, ancien ministre de l’Équipement, issu du parti de l’Istiqlal. La pluralisation des acteurs et des centres de pouvoirs engendre une pluralité de dynamiques créatrice d’instabilités et rend l’environnement de plus en plus incertain. Ce sont précisément les tensions nées de ces instabilités et de ces incertitudes qui donnent au wali des raisons et des possibilités d’agir.
Sa multipositionalité et le prestige que lui confère la fonction de représentant de l’État le mettent en position privilégiée pour prendre en charge des situations et pour gouverner, au moins partiellement et temporairement. Les walis sont en mesure de répondre à l’incertitude créée par un contexte confus et par les initiatives fragmentées et éparses d’autres acteurs, compte tenu, précisément, de leur faculté à intervenir de manière non formalisée et en s’appuyant sur des truchements et des intermédiaires. Ces modalités assurent une souplesse à l’exercice du pouvoir, ce qui permet au wali de «faire avec » les imprévus, de transformer la contingence d’événements extérieurs en opportunités, de jouer des transformations dans les équilibres entre forces de pouvoirs. La mise en œuvre de la complémentarité entre les programmes de développement menés par les collectivités territoriales et ceux opérationnalisés par les services déconcentrés de l’administration centrale, ne peut, en bonne logique, incomber qu’à l’institution territoriale dont les attributions s’étendent, à la fois, au domaine de décentralisation et à celui de déconcentration, en l’occurrence le wali ou le gouverneur. Le rôle consistant à garantir la complémentarité et la synergie entre l’action administrative décentralisée d’une part et administrative déconcentrée d’autre part, dévolu aux walis et gouverneurs, est expressément prévu par l’article 145 de la constitution chargeant ces derniers : d’assurer la représentation du pouvoir central ; d’exercer le contrôle administratif sur les collectivités territoriales et d’assister leurs présidents dans la conduite des missions en relevant ; de coordonner les activités des services déconcentrés de l’administration centrale et de veiller sur leur bon fonctionnement. Alors même que le langage administratif, aujourd’hui, et plus encore celui des discours ministériels, a tendance à multiplier les emplois du mot concertation. On l’applique indifféremment à la négociation d’accords faisant intervenir des représentants du Gouvernement, des syndicats et du patronat ou à l’élaboration de décisions gouvernementales définissant les grandes orientations applicables à un secteur professionnel[[4]]url:#_ftn4 .
La coordination, quant à elle, est un mécanisme d’organisation spécifique garantissant l’uniformisation de l’activité, notamment, dans la réalité administrative marocaine caractérisée par la configuration de l’autorité en forme de pyramide d’institutions et de ministères, eux-mêmes répartis en directions et services autonomes et concurrents, ce qui ne va pas sans créer des difficultés à cause de la multiplication du nombre des intervenants dans chaque domaine. Chaque direction opérationnelle ou fonctionnelle communique selon ses propres priorités. On note un véritable défaut de coordination. Il n’est pas rare d’entendre des services se plaindre d’avoir été informés par la presse. Ce genre de situations peut créer un sentiment de malaise par rapport aux priorités des organes de directions. Considérant à cet égard l’importance de la coordination, certains acteurs sont allés jusqu’à la considérer comme le cœur de l’activité administrative[[5]]url:#_ftn5 , d’autres ont pu mettre l’accent sur : l’uniformisation des efforts dans la préparation des décisions administratives dans le cadre de l’organisation administrative de l’État sans aucun tiraillement dans l’exercice des compétences. Parmi les raisons justifiant le recours au mécanisme de coordination, on peut noter : premièrement, la réalisation de l’équilibre budgétaire entre les départements sectoriels considérés comme particulièrement budgétivores. Deuxièmement, les situations d’urgence ou de crise qui constituent, selon une certaine doctrine, une menace même contre la sécurité nationale, qui se manifesterait sous plusieurs aspects, notamment, l’aggravation de la pauvreté et la misère sociales, la marginalisation, l’anarchie, la criminalité organisée et la gouvernance déficiente[[6]]url:#_ftn6 (ce dernier aspect caractérisé par l’abus de pouvoir, la corruption, la défaillance des institutions, et l’absence de reddition des comptes, etc.) En troisième lieu, la complexité croissante des actions publiques, de ce point de vue, la coordination constitue un moyen essentiel d’unification de l’action des différentes administrations sectorielles. Le caractère décentralisé des politiques sociales a longtemps eu pour corollaire le défaut de mécanismes de concertation et de coordination à l’échelle nationale.
Cette carence est accentuée par la difficulté structurelle qu’éprouvent les régions à dégager une position commune sur certains sujets, condition pourtant nécessaire à un dialogue politique fécond avec l’État. Cette situation est aggravée par le fait que l’État a choisi de relancer lui-même des initiatives nationales en matière de prévention et de lutte contre la pauvreté ou de protection de l’enfance, déclinées localement par la voie contractuelle, sans disposer d’un interlocuteur clairement désigné au stade de la conception du dispositif. Aussi est-ce seulement lors de la mise en œuvre que se sont révélées certaines difficultés qui auraient pu être anticipées.
Eu égard à cette question, si en France, comme le soulignait Gaston Jeze, « le préfet est le type de fonctionnaire absolument dépendant des gouvernants [[7]]url:#_ftn7 », au Maroc la situation du wali est quelque peu différente, puisqu’il dépendait, jusqu’à un passé proche, plus du roi et du ministre de l’Intérieur qu’au chef du Gouvernement, et avant la dernière constitution de 2011, il ne référait qu’au roi et au ministre de l’Intérieur. L’histoire du Maroc moderne regorge d’exemples où les walis recevaient leurs instructions directement du Cabinet royal ou du ministère de l’Intérieur, à croire que ce dernier, constituait à lui seul un Gouvernement à part, Cet état de fait a constamment gêné les partisans d’une monarchie parlementaire, ayant défendu depuis toujours, l’observation scrupuleuse du principe constitutionnel de séparation des pouvoirs. Nous pensons, de notre part, que cette situation provient, d’abord, de l’histoire de l’exercice de la fonction de wali au Maroc, qui laisse persister un flou concernant l’autorité administrative de son rattachement.
La nouvelle constitution a renforcé le statut des collectivités territoriales en tant qu’acteurs de développement de leurs territoires respectifs. L’édifice institutionnel territorial national étant interdépendant, chaque échelon de décentralisation doit assumer sa quote-part de réalisation des objectifs de développement national. En effet, l’implantation territoriale des différents services déconcentrés sans les moyens juridiques de la coordination risque d’entrainer un émiettement de l’action de l’État. Il convient dès lors d’imprimer et de traduire sur le terrain la cohésion des services déconcentrés. Il s’agit également de corriger les options techniques, et parfois technocratiques, pour mieux les adapter aux donnés régionales, provinciales et locales[[8]]url:#_ftn8 . Pour ce faire, la coordination devrait se décliner à travers les fonctionnalités suivantes : redistribution efficiente de l’ensemble des activités administratives ; concrétisation de la chaine de complémentarité entre les différentes actions de l’administration ; prohibition de la concurrence, puisque la coordination vise à harmoniser les fonctions de tous les services[[9]]url:#_ftn9 .
Au Maroc, la problématique de la coordination des services déconcentrés s’est posée à l’administration marocaine dès la libération, au moment où le jeune État, recouvrant l’exercice de la plénitude de sa souveraineté, s’est attelé rapidement à la reconstruction nationale. Les nécessités du développement à notre époque supposent que l’on dispose d’un agent coordinateur des services techniques et dont l’intervention est nécessaire[[10]]url:#_ftn10 .Cette coordination doit permettre de mettre en œuvre des actions intégrées de développement portant sur certaines régions et sur certains centres choisis en fonction de critères tirés des nécessitée telles d’un aménagement rationnel. De telle actions ont alors un double avantage : la concentration judicieuse des équipements de toutes sortes (sanitaires, scolaires, culturels, administratifs, commerciaux, habitat, etc.) Aboutir à tirer un meilleur profit des investissements entrepris ; elle est de nature à faciliter les actions de mise en valeur, elle met à la disposition de la population des équipements collectifs susceptibles de la retenir sur les lieux mêmes où s créent de nouvelles conditions d’existence[[11]]url:#_ftn11 . L’article 5 précise que «la politique de déconcentration administrative repose sur deux principes fondamentaux : La Région...et le rôle central du wali … ».
La cohésion du couple wali de région et président de région est au cœur du dispositif régional marocain.
La synchronisation du processus de la mise en place institutionnelle de la régionalisation avancée, dans ses composantes décentralisée et déconcentrée, est primordiale pour le fonctionnement du binôme.
La charte prévoit dans son article 9 le regroupement des services déconcentrés au niveau des régions et provinces en représentations ministérielles de deux ou plusieurs départements dont les objectifs sont communs ou complémentaires. Si le regroupement en lui-même est porteur du principe d’économies d’échelle, de solidarité et de convergence de l’action publique, en revanche, ce processus risque fort d’être battu en brèche au regard des architectures mouvantes des gouvernements qui obéissent plus à la couleur politique qu’aux projets politiques. Et donc, c’est à la commission interministérielle, instaurée auprès du chef de gouvernement, de veiller à la validation des schémas directeurs de la déconcentration, la proposition de création de représentations ministérielles communes, et les pouvoirs décisionnels à transférer.
La déconcentration est une technique d’organisation de l’administration parallèle et solidaire de la décentralisation. C’est, « est un mode d’aménagement de l’administration caractérisé, au sein d’une même personne morale, par la remise du pouvoir ou par la délégation de celui-ci à la hiérarchie administrative et qui lui demeure assujettie. La déconcentration se traduit par une distinction entre les services centraux (essentiellement les départements ministériels) et les services déconcentrés. » .
Il s’agit, d’un transfert de compétences de l’État vers des circonscriptions administratives. Autrement dit : c’est un transfert de pouvoir de décision vers des autorités nommées par l’État dans des territoires administratifs localisés, il y a donc une certaine corrélation avec l’administration territoriale décentralisée. Dans le but d’achever le chantier d’envergure de la régionalisation avancée, la charte de déconcentration administrative tend à mettre fin aux dispositions du décret du 20 octobre 1993 [[12]]url:#_ftn12 qui résume la relation entre l’État est ses services déconcentrés en présentant le pouvoir central chargé d’une mission de conception et de contrôle, et ses services chargés de l’exécution des décisions prises au niveau central.
Ce scénario ne figure plus depuis décembre 2018 en laissant place à une nouvelle conception d’une charte administrative qui vient produire des innovations considérables et traçant de nouveaux mécanismes de gouvernance des services déconcentrés. Et en application de la stratégie de la déconcentration administrative, le Gouvernement Marocain a mis en place la charte nationale de la déconcentration administrative, qui prévoit le transfert du pouvoir central aux collectivités territoriales.
L’objectif de la charte de la déconcentration administrative est de clarifier le rôle de chacune des Administrations : centrale et territoriale ; La première doit s’acquitter de la conception, la programmation, l'orientation, et l'évaluation de la performance des services déconcentrés, ainsi que la préparation des textes législatifs et réglementaires; Et la deuxième devrait veiller à la réalisation des politiques publiques sur le plan opérationnel, suivre leur exécution et fournir l’appui technique nécessaire aux collectivités territoriales, et notamment la région, le niveau culminant de prise de décisions territoriales (principe de subsidiarité).
C’est en rapprochant les citoyens des lieux de responsabilité publique, que la région peut gérer un supplément de démocratie par le développement d’une culture de proximité, d’écoute et de négociation. Ainsi, « Déconcentrer » devient le moyen inéluctable de faire fonctionner efficacement l’Administration publique, il consiste à adopter une répartition claire et définie des actions à mener par le niveau national chargé de la réflexion et la conception, et le niveau territorial chargé de l’application et l’exécution des projets et programmes.
Mais aussi, il convient que la déconcentration soit accompagnée de la motivation et les moyens nécessaires pour mobiliser les services déconcentrés de l’État. L’effectivité de la déconcentration administrative implique des services déconcentrés avec des pouvoirs de décision, et des moyens d’action en adéquation avec les missions et les prérogatives de chaque niveau de déconcentration : régional et préfectoral. La lettre royale adressée aux participants aux premières assises nationales sur la régionalisation avancée des 21 et 22 décembre 2019 à Agadir l’a rappelée. Au Maroc, la déconcentration administrative est considérée comme un enjeu à la démocratie. Elle est toujours un sujet d’actualité, et pourtant c’est un processus démarré depuis des années et qui n’a pas encore été couronné de succès. Depuis les années 90, se sont enchainées les stratégies et les processus de déconcentration mais qui n’ont pas pu atteindre les objectifs souhaités : les disparités persistent et la répartition des moyens de l’État et des structures déconcentrées reste incohérente, et dépendante de l’Administration centrale. Celle-ci se trouve débordée et dépourvue des moyens et des compétences nécessaires, engendrant des retards dans la réalisation des projets de grande envergure.
En réponse à ce contexte fortement centralisé, la charte nationale de la déconcentration administrative a vu le jour. Innovation juridique et pratique, car la régionalisation de l’administration consacre le rôle majeur du wali de région, qui conquiert progressivement son autorité sur les gouverneurs, sa direction des services déconcentrés régionaux et son influence auprès des élus territoriaux. Toutefois, son application n’est pas sans enjeux, car la mise en place de ce processus lourd doit être appuyée par les moyens nécessaires afin de multiplier ses chances de réussite. Selon la charte de la déconcentration administrative, les actions envisagées entre autres, à travers l’implication des walis et gouverneurs se présentent comme suit :Article 26 : […] Les Walis et les Gouverneurs supervisent l’élaboration des programmes et projets décidés par les autorités publiques ou prévus dans le cadre de conventions ou de contrats conclus avec d’autres organismes conformément aux dispositions de l’article 23 du présent décret[[13]]url:#_ftn13 et veillent à assurer leur convergence, leur cohérence et leur harmonie.
Ils sont également chargés, chacun dans le ressort de sa compétence, à prendre toutes les mesures nécessaires à l’exécution, par les services déconcentrés de l’État, de leurs missions, de leurs obligations et des programmes et projets précités […].L’article 27 prévoit: En leur qualité de représentant du pouvoir central, les Walis et les Gouverneurs veillent, chacun dans le ressort de sa compétence, à prendre toutes les mesures appropriées et nécessaires, en vue d’assurer l’accompagnement, par les services déconcentrés de l’État, des collectivités territoriales, leurs groupements et leurs organismes, dans la réalisation de leurs programmes et projets de développement. […]Le besoin d'un accompagnement de l'État et des collectivités pour la réalisation des missions, l'importance d'un État déconcentré à une échelle d'efficacité de proximité, qui correspond très souvent à l'échelle régionale. Les services doivent être largement déconcentrés, avec la capacité d'agir. Quant au wali, il doit être l'interlocuteur privilégié, le chef d'orchestre. À un moment donné, l'État a décidé d'externaliser ses fonctions, en créant des commissions régionales, sources, semblait-il, d'efficience.
Or aujourd'hui, ces dernières, quelle que soit la diversité des territoires, assurent le service.
Plus concrètement encore, l’article 30 de la charte prévoit la création, sous la présidence et la supervision du wali, d’une commission régionale chargée de la coordination. Cette dernière, et comme son nom l’indique, sera chargée notamment de travailler à l’homogénéité, la convergence et l’unité des services décentralisés au niveau régional. Elle comptera parmi ses membres un secrétaire général chargé des affaires régionales. Il s’agit là d’une fonction nouvellement créée par la charte.
Dans ce sens, l’article 33 stipule qu’il sera procédé à la nomination par le ministre de l’intérieur d’un secrétaire général chargé des affaires régionales. Ce dernier est notamment chargé sous la supervision du wali de toutes les missions qui lui seront confiées par le même wali. Il sera, en outre, en charge des travaux de coordination et de suivi nécessaires pour aider le wali. Nous serons conduits, ainsi, à nous interroger d’une part, sur les fondements juridiques de la mission de coordination dévolue au wali et d’autre part, sur les moyens institutionnels dont il dispose pour la mener à bien sa mission. Il convient de doter les territoires, au niveau régional, d'une ingénierie développée, afin de répondre aux différents besoins. Il est d'abord nécessaire de coordonner ce qui existe déjà, ensuite de compléter les solutions, le wali apportant une ingénierie propre, mobilisable sur le terrain, à la demande des collectivités territoriales. Enfin, le wali doit se positionner sur les grands domaines stratégiques : Comment aider son territoire à affronter les enjeux à venir ? S'agissant du service qu'il rend aux territoires, le wali possède des moyens relativement faibles. Il œuvre à une sorte de mise en cohérence des grands acteurs et apporte une réponse, lorsqu'il est demandé par le territoire. Il doit faire l'analyse du terrain, pour évaluer les besoins, les mettre en cohérence, afin de répondre à l'attente des élus. S’il accomplissait cette mission, ce serait déjà très bien ! Or c'est exactement ce que les élus souhaitent ! Il s'agissait de répondre au besoin réel de mieux accompagner les élus dans leurs démarches, qui sont de plus en plus complexes. Le wali doit s'impliquer beaucoup plus et beaucoup mieux pour répondre aux besoins de tel ou tel territoire. Il est le mieux placé pour conduire ce travail.
[[1]]url:#_ftnref1 B. Héléne., (1986), L’évolution de la fonction préfectorale depuis 1982 ? Thèse, Université de Montpellier,1996, p.597.
[[2]]url:#_ftnref2 F –P Benoit., Le Droit Administratif Français, Paris,. Librairie Dalloz. 1968, p.108.
[[3]]url:#_ftnref3 Dahir portant n° 1-75-168 du 15 février 1977 relatif aux attributions du gouverneur, tel qu’il a été modifié ou complété.(B.O n° 3359 du 16-3-197, p.341- B.O n°3873 du 21janvier 1987).
- C. Goyard., La coordination et la consultation dans l’Administration publique en France, in Revue international de droit comparé, octobre 1974, p.751.
[[5]]url:#_ftnref5 A. El M’hamedi., «La coordination dans l’administration centrale au Maroc», Thèse droit, Université de Droit d’Économie et de Science sociales, Paris 2, 1982,p.14.
[[6]]url:#_ftnref6 A. Saaf., « Les nouvelles menaces contre la sécurité nationale », Cahiers politiques, n°64, mars 2004, p. 3 (en langue arabe).
[[7]]url:#_ftnref7 G. Jetze., Les principes généraux du droit administratif, 2ème édition, Giard et Brière, 1934, p.386.
[[8]]url:#_ftnref8 D. Basri., L’administration territoriale, l’expérience marocaine, op. Cit, p. 114-115.
[[9]]url:#_ftnref9 A. Bakhnouch., La coordination administrative des services provinciaux, Thèse de doctorat en droit public, Université Mohamed V, Rabat, 2001, p.30.
[[10]]url:#_ftnref10 M. Rousset., Le rôle du ministère de l’Intérieur et sa place au sein de l’Administration marocaine, op.cit., 91.
[[11]]url:#_ftnref11 Ibid.
[[12]]url:#_ftnref12 Décret n° 2-93-625 du 4 joumada I 414 (20 octobre 1993) relatif à la déconcentration administrative, B.O. n°4227 du 03 novembre 1993,p. 630.
[[13]]url:#_ftnref13 Ibid.