Le Maroc est « résolument » engagé dans un processus conjoint de décentralisation et de déconcentration qui prend la forme plus particulièrement d’une décentralisation territoriale et d’une réforme administrative du secteur public. Ces deux phénomènes s’inscrivent dans le cadre de la transition démocratique affichée par l’Etat marocain qui inclut l’instauration d’une démocratie au niveau local, une démarche participative aux affaires locales et la modernisation du secteur public. Depuis les années 2000, de nombreuses mesures ont vu le jour dans le but de faire évoluer les structures administratives, convaincu qu’elles seront un moyen d’impulser le changement dans la gestion des affaires publiques.
La régionalisation au Maroc se met en place, entre autre, à travers ces deux volets de l’action publique. Elle vise à mettre en place une démocratie locale et à assurer un développement régional intégré à travers les élus locaux, les organisations socio professionnelles et la prise en charge et la participation active des citoyens.
Au-delà de ces mots, comment sont régies la décentralisation et la déconcentration ? Quels mécanismes ont été mis en place ? Quels sont les opportunités et les blocages à une véritable effectivité de ces deux volets ? Ces interrogations seront traitées en deux articles : le premier article présentera la mise en place de la décentralisation et la déconcentration au Maroc à travers une analyse des textes législatifs ; le second article portera sur l’expérience de la décentralisation à travers le travail de la Commune de Belfaâ, qui a mis en place un travail participatif avec les acteurs de la société civile et la population locale. Il importe en premier lieu de retracer le processus de déconcentration et de décentralisation au Maroc, afin de relever les éléments qui permettent d’évaluer les opportunités et les blocages existants, depuis presque dix années de constant démarrage.
Déconcentration et décentralisation, quels apports mutuels ?
Les deux volets de l’action publique peuvent être envisagés de manière complémentaire.
Une réforme administrative qui prend en compte la décentralisation permet de gagner en légitimité en opérant davantage sur le terrain. De ce fait, la réforme décentralisée s’attaque aux obstacles des procédures ou tend à améliorer les conditions d’accès du plus grand nombre aux prestations fournies par les administrations C’est pourquoi, en appliquant la décentralisation à la réforme administrative, cela permettrait à la réforme administrative d’être présente auprès de la population.
Une politique de décentralisation qui prend en compte la réforme administrative amène les services décentralisés à travailler dans un souci d’efficacité et de performances puisque cela implique que les services décentralisés s’inscrivent dans les objectifs de la réforme administrative.
La décentralisation territoriale, la réalité des blocages anti-démocratiques
Les enjeux de la démarche politique de la décentralisation
La décentralisation met en place un environnement favorisant la participation active des citoyens à la gestion des affaires publiques locales.
En théorie, la décentralisation est un choix sociétal et politique qui, dépasse le périmètre du champ purement administratif. Il ne suffit pas de s’engager dans un processus de décentralisation pour réaliser effectivement la modernisation du système de gestion publique.
Même si la décentralisation n’est pas nommé tel quel dans la Constitution de 1996, elle à un statut privilégié pour participer pleinement au processus démocratique. L’article 101 de la Constitution annonce que les collectivités sont disposées à « élire des assemblées chargées de gérer démocratiquement leurs affaires ». L’article 38 souligne le lien entre la démocratie locale et le national par la représentativité des collectivités locales au sein de la chambre des conseillers. Par ces références, on comprend que le niveau communal vise à inverser le sens des décisions où au lieu de partir du haut vers le bas, l’action locale partirait de la population vers les élus locaux en remontant par le Parlement avec la Chambre des conseillers.
Par ailleurs, la décentralisation constitue un défi de première importance pour l’apprentissage de la vie politique (au sens large du terme politique) dans un pays qui éprouve des difficultés à travailler de manière collective avec les forces vives du pays : Partis politiques et syndicats, presse, mouvements sociaux contestataires, etc.
La configuration de la décentralisation au Maroc
La décentralisation est organisée à partir de trois niveaux.
Politiquement, juridiquement et financièrement, les communes supportent l’ensemble de l’édifice de la politique territoriale. La charte communale de 2002 s’attache à élargir les attributions des élus, la rationalisation des mécanismes de fonctionnement d’assemblée et la responsabilisation accrue de l’exécutif communal.
Le niveau provincial (ou préfectoral) est sous contrôle de l’Etat. Il est le relai de l’action de l’administration centrale. Il constitue un espace de suivi et de contrôle des libertés communales, en assurant un pouvoir territorial via des fonctions de surveillance politique et d’encadrement social. La dépendance envers l’administration centrale ne lui permet pas d’avoir une légitimité populaire, ses attributions restent symboliques, et ne détient aucune autonomie budgétaire.
La région est en évolution du fait que la notion elle-même est récente, datant des années 1990 (le premier texte sur l’autonomie régionale date de fin 2001). La notion de région est liée à celle de développement économique et social. La préoccupation majeure des conseils régionaux est l’aménagement du territoire national, via la promotion de l’investissement, le soutien à la création des activités et emplois pour un dynamisme durable de développement. Elle fournit un appui aux communes, en termes d’équipements des territoires.
La région et la Province sont la confluence de la décentralisation et de la déconcentration
Depuis quelques temps, le processus de déconcentration s’est accéléré en réponse à la nécessité d’un agencement entre déconcentration et décentralisation. La déconcentration se définit comme la délégation des pouvoirs du niveau central aux niveaux régional et/ou provincial. Le niveau provincial est privilégié mais il constitue plus une main mise de l’administration centrale qu’une véritable coordination. Depuis quelques années, la région émerge en tant que niveau privilégié de la déconcentration, notamment à travers l’institution des walis de régions et de la Lettre royale sur les Centres régionaux d’investissement.
La région accuse d’une indépendance très relative puisque l’article 41 de la Charte régionale atteste que le Ministère de l’intérieur est l’autorité de tutelle qui doit approuver : le budget régional, les emprunts contractés, les ouvertures de comptes spécifiques et les concessions, gérances et autres formes de gestion des services publics régionaux.
De surcroit, le Président du Conseil Régional (CR) est directement rattaché à l’autorité de tutelle. L’article 50 énonce que « l’exercice des compétences du président du CR fait appel aux services de l’Etat de la région par l’intermédiaire du gouverneur du chef lieu », à savoir le Wali.
Par ailleurs, le désaccord profite de plein droit à l’autorité de tutelle dans la situation où en référence à l’article 44 qui stipule que « quand il y a une saisine du tribunal administratif par l’autorité de tutelle alors celle-ci l’emporte de plein droit pour la suspension de l’exécution délibérée. »
Le Maroc gère une déconcentration verticale puisque c’est l’administration centrale qui transfère ses prérogatives au délégué régional qui ne permet pas de favoriser la prise de décision au niveau régional. Le problème se pose au niveau du wali ou du gouverneur du chef lieu qui se présente comme un simple coordinateur de l’action gouvernementale au lieu d’être porteur d’un projet de développement régional.
La déconcentration soutient l’autorité de tutelle qui obstrue une véritable existence des instances décentralisées, au lieu d’assurer une meilleure combinaison entre la décentralisation (assemblées des élus) et la déconcentration. Dans ce schéma quels rôles détiennent des élus locaux ?
Des obstacles structurels : des blocages à l’effectivité d’une démocratie locale participative
Il existe une politique publique de décentralisation mais la réalité prend plusieurs formes tant au niveau territorial qu’au niveau des pratiques de gestion.
• Les communes ont à remplir des fonctions davantage bureaucratiques, dépendantes des instances supérieures, notamment du Wali. L’administration administrante prend le dessus sur la mission de développement prévue par les textes régissant les fonctions des communes ;
• Outre des fonctions supplémentaires des élus locaux tel que stipulé dans la Charte communale, des dysfonctionnements internes tels que l’incompétence, le laxisme, l’analphabétisme et le clientélisme montrent une inertie structurelle qui entrave une réelle gestion communale. Non sans dire que cela est une généralité mais elle représente une des principales lacunes qui une fois solutionné remédieraient à plusieurs maux de la décentralisation. Le calendrier électoral est évidemment en première position des intérêts des élus locaux, passant sous silence une gestion effective des communes. Un autre profil existant est l’arrivée de gestionnaires qui ont un intérêt économique qui prime sur la réponse aux besoins collectifs de la collectivité locale. De ce fait, les leviers de développement sont insuffisamment maitrisés et cela n’offre pas de perspectives stratégiques au profit des questions urgentes et de solutions de court terme.
•Outre des problèmes structurels, le démembrement des services publics locaux au profit des entités privés fragilise la mission principale des élus locaux, à savoir assurer les services sociaux de base pour répondre aux besoins fondamentaux de la population locale (éducation, santé, transports).
•Ces trois niveaux sont interdépendants les uns des autres, mais tous dépendantes de l’administration centrale qui souhaitent rester ancré dans les décisions. Le Maroc est pris dans une dichotomie entre une formalisation du modernise et une réalité des pratiques archaïques.
•Les plans de développement régionaux continuent d’être conçus de manière quasi uniforme à travers le pays par les administrations centrales des ministères, sans de véritables coordinations et sans inscription dans le cadre d’un projet régional de développement.
Ces chantiers ne se réalisent pas sans des relations complexes. Pour autant dans le cas du Maroc, ces relations se complexifient davantage puisque que la structure centralisatrice de l’administration marocaine reste omniprésente. Ce constat entrave l’adoption de méthodes modernes non bureaucratique pour répondre aux demandes sociale, alors que toutes les annonces étatiques tendent à promouvoir un système de gouvernance locale moderne, dynamique et diversifiée.