L’étude de la liberté religieuse des juifs au Maroc est très significative car le Maroc à cet égard est considéré depuis fort longtemps comme un pays de tolérance envers les autres religions et confessions. Une ancienne communauté juive réside au Maroc depuis des siècles. Il convient de parler de la liberté religieuse des juifs au Maroc traditionnel (1), et après l’indépendance (2).
1- Les Juifs dans le Maroc traditionnel.
Au début de la révélation, le prophète Mohamed fut activement combattu à « Qoraich»[1] par les Juifs qui complotaient contre lui. Après l’hégire à Médine, le contexte était diffèrent: le prophète était à la tête d’un Etat islamique. Les Juifs qui avaient gardé leur hostilité envers l’Islam pressentirent un danger de l’Etat à Médine; cela expliqua la guerre livrée contre les trois tribus Juives.
L’accord entre les Juifs du Khaybar et le prophète est devenu une source classique de la jurisprudence concernant le statut des non-musulmans. Aux termes de cet accord, le prophète s’engageait à protéger les Juifs, à les laisser vivre à Médine et exploiter leurs terres en contrepartie d’un impôt. « Le pacte fut Appelé (dhimma, protection) et les protégés (Ahl dhimma) ». [2]
Au terme de ce pacte, les (protegés) se voyaient assurer un statut en contrepartie duquel ils devaient reconnaître la supériorité de l’Islam et se plier à ses restrictions énoncées par la loi musulmane. L’Islam étant une religion régissant la vie spirituelle et temporelle des croyants, les non musulmans disposent d’un statut différent comportant des droits et des obligations. L’islam est de ce fait (Din wa Dawla, religion et Etat). Dans l’Etat marocain, l’islam gère les affaires religieuses et garantit aux nationaux l’exercice de leur culte. Il reconnaît aux non musulmans le droit de résider en pays d’Islam, de jouir des libertés publiques et de tous les droits privés.[3] Ils doivent cependant respecter l’ordre public islamique, s’abstenir de tout acte pouvant porter atteinte à l’islam et s’acquitter des impôts. La situation des juifs dans le Maroc traditionnel s’inspire essentiellement du droit classique musulman.
Il importe d’aborder la situation de la communauté juive à la fois dans l’Empire chérifien (a), au début du siècle (b)
- La communauté juive dans l’Empire chérifien.
Avec l’accession au trône de Moulay Abdelaziz 1894-1908, la crise financière et politique marocaine entra dans sa phase finale.
La gravité de la situation politique et économique a fait que la question des Juifs est passée naturellement au second plan, le Sultan plein de sympathie pour la communauté juive avec laquelle il voulait partager le désir d’entrer de plein pied dans le monde moderne.
En signant le traité d’Algesiras 1906, l’Empire concède à la France la police des ports, les travaux publics et la gestion de sa monnaie, incapable de faire régner l’ordre, Moulay Abdelaziz met en péril la sécurité des Juifs, victimes désignés de toutes les périodes d’anarchie.
Le Sultan sera alors destitué par son frère Moulay Abdel Hafid (1908-1912), cette succession est accueillie avec une grande inquiétude par la communauté juive.[5] Celui-ci étant désigné comme Sultan du Jihad (guerre sainte), Il ne cachait pas son hostilité à une communauté juive connue par son appétit pour les réformes. Mais soucieux de son image auprès des puissances européennes, il multipliait alors les gestes de bonne volonté à l’égard des juifs. Un projet de constitution, élaborée sous l’influence de la révolution des jeunes Turcs, va jusqu’à prévoir, pour la première fois dans l’histoire du Maroc, l’égalité de tous les citoyens, sans distinction de religion…
Mais rapidement, il apparait que Moulay Hafid n’arrivera pas à tenir ses promesses qu’il a faite aux marocains, les rebellions reprennent de plus belle contre les Européens et les Mellahs. Les Juifs savent désormais que Moulay Hafid n’est plus capable de remplir une des obligations du contrat d’Allégeance qui les lie à lui, à savoir la protection de leur vie et de leurs biens. La communauté comprend vite que le pouvoir réel est vite passé du Palais à la résidence. Les notables Juifs, n’en continuerons pas moins de garder toute leur affection au trône Alaouite.
Dés l’instauration du protectorat, la situation des Juifs subit un changement profond. L’impôt de protection (Djizya) ainsi les pratiques discriminatoires, en particulier dans le logement et dans l’habillement, passe aux oubliettes. Ainsi quand le Sultan se rend à Fès, le 12 décembre 1920, juifs et musulmans sont traités sur un pied d’égalité. [6]
Si les discriminations liées à la situation de Dhimmi cessent, le statut juridique des juifs ne subit pas à proprement parler de révolution. Ecartés de la nationalité française et exclus de la vie publique dans la cité, les juifs continueront à vivre dans l'ambiguïté, ne gardant comme repère que leur statut de sujets placés sous la protection personnelle du sultan. En tant que Dhimmis, ils ne peuvent toujours pas occuper de postes d’autorité dans le Makhzen, et, en tant que marocains, ils ne peuvent être fonctionnaires de l’administration du Protectorat.
Moulay Youssef ne survit que deux ans au départ de Lyautey. Il meurt en 1927, Sa disparition précoce laisse le Makhzen et la Résidence un moment désemparés car nul n’avait, songé au problème de la succession. Le choix se porte donc sur l'héritier Sidi Mohammed, le plus jeune des fils de Moulay Youssef. La succession se fait pourtant dans le respect absolu des règles, les Oulémas de Fès ayant ratifié ce choix à l'unanimité. Choisi pour son insignifiance supposée, le Sultan Mohammed V sera le fossoyeur du Protectorat, après avoir courageusement pris, au passage, la défense de (ses juifs) contre le régime de Vichy.
- La communauté Juive au début du siècle.
«juifs de la cour» et qui, très souvent, dirigent aussi la communauté.»[7]
Au-dessous, une classe moyenne de personnes aisées: marchands, bijoutiers, artisans qualifiés, rabbins... Entre ces deux premiers groupes, il existe des passerelles sociales. Opulents ou misérables, les Juifs jouent comme en Europe le rôle d’agents de la circulation des biens et des capitaux. Leur fonction économique les situe aux articulations internes et externes du pays.
A la tête de la communauté juive, le Naguid assure la liaison avec les autorités. Il est responsable devant elles du paiement de l’impôt de capitation et des contributions exceptionnelles, dont il fixe librement la répartition entre ses administrés.
Officiellement élu par la communauté, mais en fait nommé par le Makhzen, le Naguid ne doit souvent son poste qu’au versement de pots-de-vin et autres pratiques douteuses. C’est pourquoi plusieurs communautés, décident, dès le siècle, XIXe supprimer la fonction. De toute façon, là où il est maintenu, le poste sera vidé de tout contenu et les autorités prendront l’habitude d’utiliser le Cheikh al Yahud (chef des juifs) dont les compétences sont essentiellement d’ordre sécuritaire.»[8]
A côté du Naguid ou du Cheikh al Yahud, siège une direction collégiale de sept notables, les Tové ha-ir (notables de la ville),
eux-mêmes désignés par une assemblée de pairs, le Maamad. Ils sont issus de familles riches ou érudites. En plus de leurs compétences fiscales, répartition de l’impôt, ils gèrent les biens de main-forte, les œuvres de bienfaisance, les affaires du culte et, d’une façon générale, s’occupent de la vie quotidienne de la communauté.
Ce comité joue aussi un rôle réglementaire puisqu’il édicte les Takanot, qui régissent la vie religieuse et sociale, il désigne enfin le président du tribunal Rabbinique avec ses juges qui sont au nombre de trois à cinq. Malheureusement, ils en profitent aussi pour renforcer leur influence sur les responsables du Makhzen. Une fois désignés, les Rabbins-juges, ou Dayanim,
siègent en toute indépendance et appliquent en conscience les règles de la Halakha. Le tribunal Rabbinique est seul compétent en matière de statut personnel. Dans la pratique, il connaît aussi de tous les litiges d'ordre civil ou commercial opposant des juifs entre eux.
En matière commerciale, le recours aux tribunaux musulmans était possible, mais restait passible d'excommunication, une peine redoutable emportant exclusion de la communauté civile et religieuse. Pour tout le reste, au pénal comme dans tout conflit impliquant un musulman, les tribunaux du Cadi et du Pacha étaient seuls compétents. Là aussi, il était pratiquement impossible de sévir contre les cas de corruption. Après six années d’hésitations, la Résidence entreprendra une timide réforme de l’organisation communautaire: Les deux dahirs du 22 mai 1918 conservent le principe de l'autonomie tout en la soumettant à un contrôle plus strict. Dans chaque ville, les anciennes institutions sont remplacées par un comité qui ne dispose pas de la personnalité morale et dont les attributions sont limitées à la bienfaisance et aux affaires du culte. L'élection du président et l’adoption du budget sont soumis à l’approbation du Pacha.
En matière judiciaire, les Rabbins-juges ne sont plus élus mais nommés. Leur compétence est exclusivement limitée au statut personnel. Outre la modernisation de la procédure, la principale innovation est la création d’un Haut Tribunal Rabbinique qui sert d’instance d’appel. Pour coiffer cet ensemble, la Résidence crée, le 23 juin 1919, le poste d’inspecteur des Institutions Israélites, qui dépend de la direction des Affaires indigènes du Protectorat. Ainsi, tout en maintenant l'illusion de la tutelle du Makhzen, les autorités coloniales placent les communautés juives sous leur contrôle direct.
En fait, le dialogue entre la communauté juive et le Sultan passe par l’intermédiaire de la Résidence. Lyautey, Soucieux de préserver le Maroc des bourrasques de l’Orient, prétendra n’exprimer que la volonté du Sultan quand il s’opposera à toute reconnaissance du mouvement Sioniste au Maroc.
Pour le Sultan, à l’évidence, les Juifs Marocains ne représentent pas l’enjeu essentiel, quel que soit le souci qu’il ait de leur condition et de leur place dans son Empire. Il veut les émanciper pour en faire des citoyens à part entière. Ces Juifs, tout étant attachés au Sultan qui les a sauvés, ils devaient reconnaissance à la France qui les a fait entrer en modernité et au (retour à Jérusalem) dont ils rêvent depuis des siècles. De même la fermeté du Sultan vis-à-vis de l’Allemagne Nazie lui a valu la vénération de la communauté. Toutefois, il n’est pas dit que celle-ci, et la majorité de ses notables encore moins soit prête à le suivre sur le chemin du divorce avec la France.
« Ainsi, les incidents dramatiques à Casablanca 1953,[9] caractérisant les années les plus difficiles du Protectorat finissant, et qui verront le général Guillaume succéder au maréchal Juin, puis le Roi Mohammed déposé à partir pour l’exil d’où il reviendra deux ans plus tard, le 16 novembre 1955 pour sa plus grande gloire et celle du Maroc enfin indépendant ».[10]
En effet la première partie de son règne a convaincu les juifs du Maroc qu’ils pouvaient continuer à vivre en sécurité en terre Arabe, tout en faisant une triple allégeance à un Sultan hospitalier, à une France modernisatrice et à un Sionisme rédempteur. Ils espéraient et ils croyaient que la guerre les épargnerait. Toutefois, l'antisémitisme Européen et ses prolongements dans l'Empire chérifien, ainsi que la multiplication des incidents de rue entre musulmans et chrétiens d'un côté et juifs de l'autre, empêchaient la communauté juive de se laisser gagner par la quiétude ambiante. De plus le régime de Vichy est venu modifier le statut des Juifs. Il importe donc de connaitre les grandes lignes de ce régime ?
Vichy : le premier statut des juifs.
Après la signature de l'armistice de juin 1940, le Maroc deviendra une extension naturelle de la France pétainiste. C’est ainsi que le statut des Juifs y sera promulgué, le 31 octobre 1940, puis, le 5 août 1941, après quelques légères modifications, les Juifs Marocains ne relevant pas de la juridiction française. Pour Haïm Zafrani, les dahirs faisant application du statut des Juifs du Maroc méritent deux remarques importantes: [11]
-«La première concerne la procédure de publication des dahirs: le résident général détenait seul l’autorité effective et réelle; ses services rédigeaient en français les textes des dahirs; sa signature leur donnait force de loi; les textes étaient ensuite traduits en Arabe et adressés au Palais Royal pour être soumis au paraphe et sceau du Roi.
- La deuxième remarque a trait à l’étendue de l’application de ces lois: les Juifs qui furent touchés par leur contenu étaient ceux qui avaient adopté les modes de vie et de pensée français, c’est-à-dire une infime minorité».[12]
Subissant la vision qu’ils ont d’un coté la haine des Français du Maroc, jouissant de l’autre coté de la protection Royale, les Juifs devront réévaluer la vision qu’ils ont de leur avenir au Maroc. Une fois leur rêve d’intégration à la société française et à ses valeurs fauchée par le Pétainisme, vont-ils s’engager dans le combat nationaliste pour l’indépendance ou prendre le chemin de la Palestine tout en considérant Vichy comme une malheureuse parenthèse?
Vichy : le second statut des juifs.
Pour répondre aussi bien aux exigences de l’idéologie Allemande, le régime de Vichy durcit sa politique juive, par la discrimination à la persécution. Le statut des Juifs était considéré comme trop (laxiste) par le Résident Pétain et ses maîtres Allemands. Vichy décide donc de le durcir. «A cet effet, en Mars 1941, un Commissariat général aux questions Juives fut crée. Le nouvel organisme avait pour mission la lutte contre «l’influence Juive dans les domaines intellectuel, culturel. Aussitôt la rédaction d'un nouveau statut pour les juifs».[13]
Ceux-ci paniquent à la lecture de ces nouvelles mesures, d’autant qu’elles sont introduites sans tarder en Algérie. Xavier VALLAT avocat et homme politique (1891-1972) du gouvernement Vichy était pressé d’étendre le nouveau statut aux protectorats de Tunisie et du Maroc. Mais ces deux pays étant juridiquement souverains, une telle application ne peut pas être automatique, elle exige l’assentiment des pouvoirs locaux. On pouvait compter sur le Résident Noguès pour agir en ce sens. Si le résident, en raison des origines Juives de son épouse, a appliqué consciencieusement le premier statut, il y a tout lieu de penser qu’il en fera de même quand le second sera promulgué au Maroc.[14]
La communauté Juive et la lutte pour l’indépendance.
L’Histoire laisse décidément peu de répit aux Juifs Marocains. A peine sortis de l’angoisse vichyste, les voilà plongés dans le tourbillon de la lutte pour l’indépendance. « Victimes directes ou indirectes des troubles qui ensanglantent périodiquement le pays, ils sont ballottés entre le Sionisme, une relative fidélité à la France et, dans une moindre mesure, l’adhésion au nationalisme Marocain. On peut cependant avancer, qu’une forte majorité d’entre eux aura cru jusqu’au bout, avec un optimisme incurable, à une réconciliation Franco-marocaine ». [15]
« Sidi Mohammed de son côté, après avoir protégé les Juifs contre les lois de Vichy, pense qu’il est temps de les émanciper et, plus modestement dans un premier temps, de les gagner à la cause nationaliste. Il croit avoir enfin les moyens de sa politique ».[16]
Définitivement débarrassé de la crainte des Résidents, le Sultan entend désormais assumer toutes ses prérogatives de chef d'Etat. Mais il exerce aussi une deuxième fonction tout aussi déterminante, celle de chef du mouvement nationaliste. Qu'il les reçoive publiquement ou secrètement, il élabore avec les chefs de l’Istiqlal une stratégie de lutte pour l'indépendance. Ce rôle de chef du mouvement nationaliste lui vaudra d’être déposé en 1953. En ce qui concerne les Juifs, des bouleversements extérieurs viennent compliquer singulièrement la tâche du Sultan: la création de l’État d’Israël en 1948 fait peser une lourde menace sur les relations Judéo-arabes au Maroc.
2- La condition des juifs dans le Maroc moderne.
Dans le Maroc nouvellement indépendant, les Juifs disposaient de tous les droits politiques et économiques. Ils contrôlaient le commerce et les banques et s’étaient spécialisés en orfèvrerie. Le Roi Mohamed V déclarait à cet effet, que les Marocains musulmans israélites sont les sujets d’une même patrie. Ils ont les mêmes droits et les mêmes obligations. Ils doivent agir ensemble sur le plan national. Il disait : «Nous devons mettre en commun nos efforts, nos moyens pour venir en aide à ceux qui sont dans le besoin quelle que soit leur religion car en matière sociale, la misère n’a pas de religion».
Cet appel enthousiaste à la solidarité pour la construction d’un Maroc nouveau, a-t-il trouvé un écho dans les deux communautés pour combattre le sous-développement qui est l’ennemi à battre? En effet, le contexte politique de l’époque avec le problème Israélo-arabe, la présence en force du Parti de l’Istiqlal dominé par les traditionalistes a beaucoup atténué la portée pratique de cet appel. Si le Maroc moderne s’est constitué en tant qu’Etat Nation garantissant l’égalité à tous les citoyens, il n’a pas renié la place primordiale joué par l’Islam dans la vie politique et sociale.
Il faut noter que l’émigration massive des Juifs en Israël alerta les pouvoirs publics, et Mohamed V lança alors un appel invitant les Juifs Marocains à ne pas abandonner leur pays, il déclara: « Le Maroc a besoin de tous ses enfants qu’ils soient Musulmans ou Israélites. Il ajoute : Je suis certain pour la liberté de tous mes sujets mais il faut convaincre tous les Israélites Marocains que leur devoir n’est pas de quitter le Maroc mais d’y rester. Nous devons mettre en commun nos efforts et nous devons être mobilisés au service de la patrie et ceux qui quittent cette patrie seront considérés comme des déserteurs».[17]
Ce discours royal devant le comité israélite le 13 Septembre 1956 intervenait à un moment où l’émigration commençait à se sentir mais n’avait pas encore atteint les proportions inquiétantes de 1967 après la guerre de six jours [18]. Rien n’arrêta le flot de l’émigration juive vers la PALESTINE, ni la fermeté des pouvoirs publics qui avaient dissous les organes de propagande sioniste financés par l’Alliance Universelle juive pour la favoriser, ni les mesures prises par le ministère de l’intérieur n’assujettissent la sortie des citoyens Marocains juifs à un visa.
En tant qu’(Amir Al Mouminine), le Roi Mohamed V est le chef religieux de tous les croyants. Il est aussi le protecteur des Marocains pratiquant les religions du livre. Il précise à ce sujet : «Pour nous, tout Marocain qui quitte le Royaume, qu’il soit musulman ou juif, ne peut perdre sa nationalité. Il reste pour nous toujours un Marocain même s’il devient Israélien ou Canadien, la raison en est que le lien d’allégeance qui existe entre Amir Al Mouminine et ses sujets, ne peut jamais être rompu».[19]
Il faut retenir en définitive que le Souverain a affirmé l’égalité de tous les citoyens Marocains quelle que soit leur religion. A cet égard, la Monarchie Marocaine a toujours étendu la minorité Juive qui fait partie de ses sujets. Tout comme les Marocains de confession musulmane, les Juifs Marocains conservent leur nationalité même s’ils ont émigré à l’étranger et ils ont la possibilité de retourner au pays quand ils le désirent.
Plus tard, le feu Roi Hassan II a déclaré: « il normal que les juifs Marocains qu’ils soient résidant au Maroc ou qu’ils soient installés à l’étranger, peuvent inviter leurs coreligionnaires au pays pour des retrouvailles et pour accomplir des pèlerinages. Il a considéré aussi que la tenue d’un congrès Juif en terre marocaine ne remettait pas en cause le soutien du Maroc à la cause palestinienne. Le Roi a ajouté: «Le congrès juif n’a pas revêtu un caractère Etatique. Il s’inscrit dans le cadre normal de l’exercice des libertés publiques. Ce concept de liberté, il se peut que certains Etats du (Machrek) l’ignorent et nous craignons fort qu’il leur faille, encore des années pour le comprendre».[20]
Le Souverain agit à la fois en tant que commandeur des croyants protégeant les (Dhimmis) et comme chef respectueux des libertés publiques de ses citoyens. Il convient de noter que les Marocains de confession juive avaient accès depuis des siècles aux fonctions publiques au même titre que les musulmans. Il convient de rappeler aussi que depuis l’indépendance, tous les parlements Marocains comportaient des Marocains de confession juive. Il faut souligner en outre que les juifs Marocains, même après leur départ, ont gardé de bonnes relations avec le Maroc et leurs Rois pour lesquels ils ont toujours gardé autant de respect. Ces émigrés juifs se sentent toujours sujets du Roi du Maroc. La réunion du Congrès Juif au Maroc est une preuve de la reconnaissance et de la loyauté de cette communauté envers le Roi.
La communauté juive au regard du code de la famille.
Le code de la famille dont l’annonce a été faite le 10 octobre 2003 par le Roi Mohammed VI, à l’occasion de l’ouverture de la session d'automne du Parlement, dispose l'application aux membres la communauté Juive Marocaine un Statut personnel Hébraïque Marocain, partant des prérogatives dévolues au Roi, en sa qualité d’Amir Al Mouminine, garant de l’unité et de la pérennité de la nation dans toutes ses composantes et protecteur des droits de tous les Marocains. Le Souverain avait en effet annoncé: «Attachés aux droits de nos fidèles sujets de confession juive, nous avons affirmé dans le nouveau code de la famille que leur soient appliquées les dispositions du statut personnel Hébraïque Marocain ».[21]
Parmi les quatre critères retenus dans le discours Royal figure celui de la fonction de légiférer qu’il assure dans le sens de l’intérêt général en sa qualité de Roi de tous les Marocains. Il en découle que le Souverain a la charge suprême de légiférer et de consolider, au même titre que pour les Marocains Musulmans, les droits de la minorité religieuse Israélite car elle est partie indissociable de la Nation.
Ainsi, une sorte d’unité dans la diversité se réalise au niveau du corpus relatif au statut de la famille Marocaine, qui consacre de ce fait l’unité de la Nation dont l’Islam est la religion d’Etat. Au sein de ce dernier, s’exerce la liberté de culte constitutionnellement reconnue et garantie aux gens du Livre ainsi que les droits d’essence religieuse qu’elle génère pour eux. Le statut personnel Hébraïque se trouve ainsi implicitement incorporé au nouveau Code de la famille. « Le droit qui régit les Marocains de confession Juive est en principe le droit Hébraïque général d’essence religieuse mais qui n’était pas codifié et ne donnait pas lieu au pourvoi devant la Cour suprême. Cette disposition sera abrogée ultérieurement. »[22] Ce droit général Hébraïque se trouve dans la (Thora) contenue dans les cinq premiers livres de la Bible, les Pentateuques [23]; à la Thora s'ajoute la (Mischna), œuvre du Rabbin Judas Hadadouch, qui est un recueil des décisions et des lois écrites et coutumières publié en l'an 218 de l'ère Chrétienne. Mais le Code utilisé en pratique est celui de Joseph Karo, publié en Espagne au XVI siècle qui a fait l’objet d’une traduction méthodique en français de Santyra et Charleville (1868, Alger) (Eben hezer et Hochem Hamispat). Depuis l’indépendance, le système judiciaire Marocain a toujours tenu compte de l’existence de ce droit régissant les ressortissants Marocains de confession juive et ce, en dépit du net recul démographique qu’a accusé cette communauté. [24]
Les Renvois
[1]Les Quraychites, Qorayshites ou Koraïchites sont les descendants de la tribu Quraych (qurayš), le terme signifie littéralement en arabe « petit requin». Ils appartiennent au groupe des Arabes du Nord (ou Arabes arabisés) qui se disaient descendants d'Adnan et par lui d'Ismaël. Six générations après Quraysh, Qusay (quṣay ben kilāb) est le père de ‘Abd Manaf, grand père de Hâchim, bisaïeul de `Abd al-Muttalib, trisaïeul de `‘Abdullah, ce dernier étant le père de Mahomet. Un hadith dit que tous les califes doivent descendre des Quraychites.
[2] KENBIB Mohamed, « Juifs et musulmans au Maroc 1859-1948 », thèse Paris, 1944, p : 7
[3] WEISBERGER. F, Au Seuil du Maroc, Rabat, Edition la Porte, 2004, p. 29.
[4]ASSARAF Robert, Mohammed V et les juifs du Maroc à l'époque de Vichy, édit Plon, 1997, pp : 44-45
[5] Ibid, p : 51
[6] ASSARAF Robert, Une certaine histoire des juifs du Maroc: 1860-1999, Édition, Jean-Claude Gawsewitch, 2005, p : 103- 203
[7] ASSARAF, Robert Mohammed V et les juifs du Maroc à l'époque de Vichy, ouvr cité, p : 57-58
[8] BERDUGO Arlette, Juives et juifs dans le Maroc contemporain: images d'un devenir Héritages du judaïsme marocain, Édition Librairie orientaliste Paul Geuthner, 2002, p : 21-52.
[9] TOLEDANO Joseph, Le temps du Mellah: une histoire des juifs au Maroc racontée à travers les annales de la communauté de Meknès, Edition Ramtol, 1982, p : 144-147.
[10] ASSARAF, Robert Mohammed V et les juifs du Maroc à l'époque de Vichy, ouvr cité, p : 79-80 et ss.
[11] ZAFRANI Haïm, Juifs d’Andalousie et du Maghreb, édition, Maisonneuve & Larose, 2002, p:67
[12] ASSARAF Robert, Mohammed V et les juifs du Maroc à l'époque de Vichy, ouvr cité, p : 116-117
[13] Ibid, 147-148.
[14] BRIGNEAU François, « Xavier Vallat et la question juive »: pour le cinquantième anniversaire de son procès en Haute Cour Volume 6, Numéro 2 Éditeur Publications FB, 1997, p : 49-59- 60
[15] LEVY Armand, Il était une fois les juifs marocains: témoignage et histoire de la vie quotidienne, Comprendre le Moyen-Orient, Editions L'Harmattan, 1995, p : 47-51.
[16] ASSARAF Robert, Mohammed V et les juifs du Maroc à l'époque de Vichy, ouvr cité, p : 180-181
[17] Discours royal du Roi Mohamed V le 13 Septembre 1956.
[18] HAZAN Pierre, « 1967, la guerre des six jours: la victoire empoisonnée », Volume 128 de Historiques (Bruxelles) Volume 55 de La Mémoire du siècle, Editions Complexe, 2001, p : 49
[19] Interview du Roi HASSAN II, accordée aux journaux AL MOUSSAWER et AL GAMHOURIA, 18 Février 1988, p. 296.
[20] Discours Royal d’HASSAN II du 18 Mai 1984 à l’occasion de la journée « EL QODS », 1984- p. 132.
[21] Discours de roi Mohamed VI 10 octobre 2003.
[22] MOUAQIT Mohammed, « L'idéal égalitaire féminin à l'œuvre au Maroc: féminisme, islam(isme), sécularisme », Collection Histoire et perspectives méditerranéennes, Editions L'Harmattan, 2008, p : 146
[23] Le terme Pentateuque désigne cinq premiers livres de la Bible, aussi appelés "Les 5 Livres de Moïse", bien qu'ils aient probablement été rédigés ou compilés par Esdras.
[24] SCHULMANN Fernande, Les enfants du juif errant: itinéraires d'émigrés Comprendre le Moyen-Orient, Editions L'Harmattan, 1990, p : 310.